Rezension über:

Lars Blunck (Hg.): Werke im Wandel ? Zeitgenössische Kunst zwischen Werk und Wirkung, München: Verlag Silke Schreiber 2005, 178 S., ISBN 978-3-88960-063-9, EUR 21,00
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Rezension von:
Beatrice Joyeux
Institut d'Histoire moderne et contemporaine, École normale supérieure, Paris
Redaktionelle Betreuung:
Hubertus Kohle
Empfohlene Zitierweise:
Beatrice Joyeux: Rezension von: Lars Blunck (Hg.): Werke im Wandel ? Zeitgenössische Kunst zwischen Werk und Wirkung, München: Verlag Silke Schreiber 2005, in: sehepunkte 6 (2006), Nr. 2 [15.02.2006], URL: https://www.sehepunkte.de
/2006/02/9532.html


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Lars Blunck (Hg.): Werke im Wandel ?

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Le débat esthétique sur l'art contemporain en Allemagne est peu connu en France. Si l'on cite souvent les travaux de Hans Belting (né en 1935), connus grâce aux traductions de la collection (hélas fermée récemment) Rayon Art [1], ceux de générations plus jeunes nous restent étrangers. Outre l'âge de ces universitaires, nés autour de 1965-1970, récemment ou bientôt promus à des chaires de professeurs, la barrière de la langue et le désintérêt pour ce qui se fait outre Rhin au profit des débats d'Amérique du Nord, sont probablement les causes principales de la rare rencontre des problématiques des théoriciens de l'art en France et en Allemagne. Ajoutons-y le manque de médiations pour nous faire connaître ce débat. Cette recension pourra peut-être y remédier, puisqu'elle présente une version très vivante du débat esthétique en Allemagne.

Werke im Wandel? zeitgenössische Kunst zwischen Werk und Wirkung - «Œuvres en mutation? L'art contemporain entre Œuvre et Effetç»: l'ouvrage, son titre ne le dit pas nécessairement, présente les textes d'une journée d'étude sur l'interactivité dans l'art contemporain, et sur les conséquences de cette dimension dialogale (pour traduire «Dialogizität») sur la possibilité d'une esthétique efficace de l'art contemporain. La variété des profils des intervenants, comme celle de leurs expériences multiples (universitaires, chercheurs, conservateurs, critiques, historiens de l'art, philosophes), laisse supposer que le débat est largement couvert. Le caractère international des artistes ou des œuvres (s'il s'agit encore d'œuvres) analysés donne un état intéressant de l'art contemporain. L'alternance entre articles théoriques et exemples concrets (Daniel Buren, Olafur Eliasson, Marco Evaristti, Felix Gonzales-Torres, Joseph Beuys, Erwin Wurm, Stefan Schemat et Erst Hans Scheuerl entre autres), équilibre bien le volume.

Dans l'introduction, Lars Blunck (Technische Universität Berlin), l'éditeur du volume, présente la problématique de l'ouvrage: dans l'art contemporain «on ne fait plus des œuvres, du moins au sens de la théorie de l'art qui l'accompagne», mais plutôt on cherche à «activer des potentiels d'expérience» (7). Happenings, actionnisme, minimalisme, installations performatives, mises en scènes,land art et autres interventions spécifiques au lieu: il ne s'agirait plus d'œuvres, en tout cas au sens traditionnel où on l'entend - un sens que Lars Blunck définit, de manière un peu implicite, comme celui d'un objet réalisé par un sujet et destiné à être vu par un autre sujet, sujet a priori non nécessaire pour que l'œuvre soit une œuvre. Dans l'art contemporain, au moins depuis le minimalisme des années 1960, le spectateur est considéré comme le collaborateur réel voire le co-auteur de réalisations qui sans lui n'ont ni sens, ni existence, ni actualité. La triade classique artiste - œuvre - spectateur se serait donc brouillée. L'art contemporain - c'est la question centrale du livre - permet-il cependant au public de vivre réellement l'expérience dialogale qu'on prétend lui offrir? L'enjeu de la question n'est pas seulement de mesurer si les praticiens de l'interactivité réussissent ou manquent le but qu'ils proclament. Il est aussi de localiser le point central auquel doit s'attaquer celui qui veut comprendre l'art contemporain: l'œuvre? la rencontre entre l'art et le spectateur? Mais cette rencontre est-elle donnée par l'œuvre? Ou faut-il personnellement se faire spectateur pour vivre, donc pour comprendre cette rencontreesthétique?

L'ouvrage propose donc de s'interroger sur les conséquences de la mise en question de la notion d'œuvre, comme de sa réalité, pour la construction méthodique d'une théorie et d'une histoire de l'art contemporain. Cette construction est elle-même problématique. Si l'art contemporain, en effet, accepte de sacrifier son autonomie vis-à-vis du spectateur, ne s'oblige-t-il pas à renoncer de facto à la possibilité d'une théorie et d'une philosophie de l'art contemporain, ou au moins à se contenter d'une phénoménologie courte, qui renoncerait à toute généralisation? De même, puisque l'art contemporain met à l'épreuve les initiatives de conservation ou de muséalisation (en particulier les performances, le land art et toute entreprise interactive), n'échappe-t-il pas aussi à toute mise en contexte esthétique, intellectuel et historique?

Rassurons-nous: les auteurs de l'ouvrage ne renoncent à rien, et s'ils acceptent de remettre en cause l'acception traditionnelle - ou plutôt moderne - de l'œuvre (Werk), c'est pour en proposer une approche qui intégrerait à l'œuvre son effet (Wirkung), assumant ainsi les tensions internes à l'art contemporain, au lieu de s'y confronter, sans pour autant négliger les débats encore ouverts. Le volume s'ouvre ainsi sur une contribution de Juliane Rebentisch, Professeur de philosophie à l'université de Potsdam, qui présente les lignes directrices de son Ästhetik der Installation parue en 2003. [2] L'article commence par analyser la conception «objectiviste» de l'autonomie de l'art chez ceux qu'elle appelle les «modernistes», au premier rang Michael Fried et Theodor Adorno, pour en souligner les écueils. Leur erreur théorique aurait été responsable, depuis les années 1960, d'une dévalorisation générale de toute dépendance, dans l'art, vis-à-vis de la présence performative du spectateur. La critique moderniste - «Fried et Adorno, mais aussi Stanley Cavell, Hans-Georg Gadamer ou Martin Heidegger» (24) -, en assimilant l'inclusion du spectateur à la mise à sa disposition de l'objet, n'aurait pas saisi le sens de l'art contemporain. Pour Mme Rebentisch, «l'expérience esthétique ne réside pas [...] seulement dans le sujet mais s'accomplit dans un processus entre sujet et objet, qui transforme les deux» (27). On hésite à croire, à la lire, que les «modernistes» n'ont vraiment rien compris à l'art contemporain. On hésite plus encore à penser que son argumentation renouvelle le débat, lorsqu'elle prétend que la réflexivité dans l'art ne serait en rien contraire à son autonomie, en particulier pour l'art minimal et les installations: l'idée n'est-elle pas évidente, et même pour l'art moderne? En revanche Mme Rebentisch ouvre des voies intéressantes lorsqu'elle soutient que l'incertitude du rapport à l'objet constitue une spécificité structurelle de l'expérience esthétique, dans un «horizon ouvert» à une pluralité de sens. Invoquant Derrida et Deleuze, l'art minimal et l'expérience cinématographique, son argumentation «antiobjectiviste» se termine en soulignant que la dépendance vis-à-vis d'une expérience esthétique est justement constitutive de l'art contemporain et de son autonomie - voire qu'elle est constitutive de tout art. Et l'auteur de proposer un concept de l'autonomie qui soit ancré dans une théorie de l'expérience (Erfahrungstheorie), expérience à trouver non pas dans le sujet seul, mais dans un processus sans cesse renouvelé entre sujet et objet.

Après ces lignes ardues, l'article de Dorothea von Hantelmann sur Le musée qui n'existait pas de Daniel Buren offre une bouffée d'air frais. La «rétrospective» Buren présentée au Centre Pompidou en 2002, est présenté ici comme la mise en place d'un nouveau concept d'exposition, où Buren releva le défi de présenter une rétrospective d'un art - le sien - essentiellement temporaire, donc a priori non assimilable dans le paradigme évolutif des rétrospectives. Buren choisit de détourner l'espace muséal qui lui était alloué: de salle en salle, le visiteur se promenait dans une suite répétitive sans début ni fin, sans focalisation, où la séparation entre œuvres d'art et espace, forme et contenu, était volontairement brouillée. Le refus d'un ordre thématique et de toute structure, la pluralité des perspectives, privaient en fait le visiteur de cette expérience temporelle devant l'œuvre (Verweilen) que l'on s'attend à trouver dans un musée. Alors que la marche du visiteur de musée lui fait mimer, donc intégrer dans son corps l'histoire de l'art et l'idéologie du progrès, Buren torpillait cette idéologie institutionnalisée en imposant l'absence de sens, et dévoilait explicitement la signification de l'expérience des rétrospectives. Il allait au bout de la logique de ses mises en exposition antérieures - en particulier sa Peinture sculpture installée en 1971 dans la Spirale du musée Guggenheim de New York -: il intégrait l'espace, et l'idée de l'histoire de l'art qui le sous-tend, à l'œuvre. Il faisait ainsi de l'espace, et de l'expérience de cet espace, son œuvre. D'où une révolution nécessaire dans la compréhension de l'effet de l'œuvre - révolution où la critique refusa de le suivre.

L'article de Christian Janecke (M. Luther-Universität Halle) reprend le fil de la discussion théorique, et de manière polémique. Contre l'idée d'une esthétique de l'art performatif, il s'agace des brouillages du discours sur la «performativité». L'art qui attend tout du public et pour lequel l'œuvre n'est finalement que prétexte, remarque-t-il justement, n'est que minoritaire. On peut donc refuser de lui accorder la place d'honneur dans l'esthétique contemporaine. L'auteur s'attaque ensuite aux formules de «performance», «performativité», «culture performative», «théâtre» et «théâtralité» (theatricality) et à leur manque de clarté conceptuelle. «Catégorie aventureuse» (67) constituée au détour de vagabondages dans la théorie du langage des Cultural Studies, dans l'ethnologie et les sciences humaines, le performatif cacherait en fait bien des stratégies de légitimation à la fois internes et externes au monde de l'art: différenciation constitutive de la logique avant-gardiste, processus d'institutionnalisation académique (bulle spéculative), manière pour des artistes de confier au spectateur une fonction qu'ils se sont avérés incapables de remplir: donner du sens aux œuvres, voire une tendance plus générale à l'individualisation des responsabilités (spectateur, tu trouveras dans l'œuvre ce que tu y mettras). M. Janecke aurait pu ajouter quelque allusion au marché de l'art contemporain. C'est surtout le caractère indéfini des créations mises dans le panier du performatif, qui serait, d'après lui, une des raisons principales de l'amas spéculatif autour de la performativité. Et l'auteur d'ajouter que dans cet art l'artiste n'a plus rien à dire, mais prétend faire parler le spectateur - qui, lui, en fait, n'a la plupart du temps pas beaucoup à déclarer. L'œuvre deviendrait ainsi un moyen sans fin, pendu à la nécessité du spectateur qui n'a pas toujours envie d'aller vers lui. D'où l'hypostasie théorique (d'autant moins qu'on disposerait de discours de spectateurs) de la figure du spectateur élevé au rang de concept par la profession théoricienne de l'art. On aurait aimé connaître les discussions très probablement soulevées par cette intervention, en particulier entre Juliane Rebentisch et Christian Janecke. L'ouvrage n'en dit rien.

L'article suivant, rédigé par Lars Blunck, n'est pas beaucoup plus tendre à l'égard des esthétiques de l'interaction, puisqu'il attaque la prétendue nécessité d'une participation manifeste des visiteurs des expositions d'art contemporain, et même sa possibilité. L'analyse part de la description amusée, mais distanciée, d'une performance réalisée par l'artiste chilien Marco Evaristti en l'an 2000, au musée Trapholt au Danemark, près de Kolding. Helena présentait dix blenders Moulinex remplis d'eau, dans chacun desquels nageait un poisson rouge. Les mixeurs étaient branchés, bien entendu. La mortalité rapidement constatée chez les poissons rouges fit d'Evaristti un artiste international du jour au lendemain, l'artiste exprimant un étonnement feint sur le comportement des visiteurs qui avaient mis en marche un appareil. Dans cet incident, et à l'aide d'autres exemples, Lars Blunck met en évidence les caractéristiques de l'art participatif: cet art doit toujours formuler, d'une manière ou d'une autre, une invitation à la participation du spectateur. Ainsi la participation effective du spectateur n'est pas nécessaire pour constituer l'œuvre, malgré les affirmations habituelles. Il suffit qu'on connaisse sa possibilité. Il existe donc un mode «silencieux» de la participation à l'art contemporain. L'œuvre d'art, toute participative qu'on la prétende, resterait ainsi avant tout une image - ce que la récupération muséale des installations confirmerait.

Philip Ursprung (Université de Zurich) prend le relai en analysant de manière détaillée les travaux d'Olafur Eliasson; en particulier son Weather Project, mis en place à la Tate Modern de Londres en 2003-2004. En incluant sans la cacher, dans la gigantesque halle des turbines de la Tate Modern, une machine météorologique, Eliasson rendait explicite la fabrication d'une illusion de lumière, d'ombres et de brume. Il aurait ainsi mis en évidence, dans l'architecture, l'idéologie qui sous-tend l'acte d'exposer, fixant dans son œuvre une critique évidente de l'institution muséale. Tout en faisant de son expérience individuelle du Weather Project le pivot de son analyse historiographie, l'auteur localise l'œuvre, et lui et l'artiste, dans une globalisation économique, sociale et culturelle où l'articulation du proche et du lointain, du local et du global, étend l'interactivité à des sphères plus larges que l'art contemporain. Si l'on comprend bien les intentions de l'auteur, l'interaction dans l'art contemporain serait donc spécifique de la globalisation contemporaine, et cousine d'IKEA ou d'Unilever. Ce qui justifierait donc un tournant théorique fondamental pour l'analyse de l'art de notre époque globalisée.

Reste à déterminer ce tournant théorique, alors que les propositions concrètes - en particulier celle du premier article - ne semblent pas faire l'unanimité des intervenants. Cette quête semble avoir été confiée à Slavko Kacunko (Université d'Osnabrück), dont la contribution repose sur un énorme travail de lecture comparée et circonstanciée de la littérature disponible sur l'œuvre d'art-média dans «l'esthétique de l'interaction, de la réception, de l'œuvre et du génie». [3] Le passage, dans l'art contemporain, d'une esthétique de l'image à une esthétique de l'œuvre, et d'une esthétique de l'œuvre à une esthétique de l'événement, a-t-il rendu inutiles les outils de l'histoire traditionnelle de l'art? L'article, très descriptif, ne laisse pas voir clairement si une esthétique solide de l'art interactif permet de les remplacer. L'auteur semble penser qu'une telle théorie est possible, et qu'elle serait même capable de rendre compte des implications des médias sur l'époque contemporaine, pourvu que l'histoire de l'art accepte de s'élargir à une science des images. On se demande cependant quelle pourrait être alors la spécificité du discours sur l'art, et s'il ne faudrait pas simplement y renoncer.

Katja Kwastek (Université de Munich), conclut le volume en proposant l'esquisse d'une esthétique de l'art électronique interactif. Elle trouve dans le jeu un équivalent intéressant de l'art interactif, à cause notamment de sa recherche de la contemplation dans l'action, et de l'ambivalence qu'il postule entre action et échange esthétique. Analysant six «Moments du jeu» (Momente des Spielerischen) de l'artiste Hans Scheuerl, elle en met en évidence les caractéristiques ludiques: liberté et absence de finalité, infinitude interne, prévalence de l'apparence, ambivalence, cohérence interne (définie par les règles du jeu), actualité et instantanéité atemporelles. L'art se différencie du jeu, cependant, par la possibilité qu'il donne à la réception artistique de susciter une réflexion sur soi. Entre ouverture et fermeture, donc, la comparaison entre art interactif et jeu permettrait alors de proposer, à l'encontre des louanges habituellement faites à l'ouverture inconditionnelle de l'art interactif, un modèle qui prenne en compte les déterminations de cet art. Car si l'art interactif semble avoir réalisé, de manière toute banale, les plus belles utopies des avant-gardes depuis le XIXe siècle - intégrer le spectateur -, il reste tout de même lié aux choix préalables de l'artiste: ne serait-ce que parce que celui-ci détermine le cadre de la réception de son travail. Le concept d'œuvre n'aurait donc pas fini de prouver sa pertinence pour penser l'art, qu'il soit moderne ou contemporain.

En fermant un ouvrage si riche, on ouvre en retour de multiples questions. Et d'abord cet étonnement: l'esthétique de l'art contemporain (comme science) doit-elle se passer d'une assise historique, sociologique et économique? On aimerait que l'étude de Philip Ursprung sur les rapports entre globalisation et performances aille plus loin, par exemple: si les performances ne sont pas qu'une stratégie interne au monde de l'art, mais intégrées aux préférences du consommateur contemporain, qui passe ses samedis chez IKEA et bricole ses meubles le dimanche, comment expliquer leur caractère minoritaire dans l'art d'aujourd'hui, les critiques dont elles sont l'objet, et leur succès très relatif en dehors des circuits institutionnels? Serait-ce un des paradoxes supplémentaires de l'art contemporain et de notre époque postmoderne, que cet art témoigne de la société dont il est fils et critique les institutions, mais qu'à la fois le témoignage ne suscite pas vraiment la compréhension du «public», tandis que la critique est tout à fait digérée par les institutions qui l'accueillent? De même, la remarque sur l'achat par le musée de Kolding des mixeurs au poisson rouge d'Evaristti, qui avaient coûté une amende de 2000 couronnes au musée mais lui avaient assuré une publicité sans précédent, pouvait permettre de s'interroger sur l'intrication entre l'événement d'art contemporain, sa réception, la construction sociale tant de l'artiste que de l'institution qui l'accueille, et ses effets sur l'interprétation esthétique. Ces questions ne sont pas extérieures à la problématique du volume: elles permettent en effet de mieux cerner à la fois les préalables socio-historiques aux théories de l'art contemporain, et le risque qu'elles courent, en se voilant les yeux sur eux, de ne pouvoir rendre compte de manière satisfaisante ni de l'art qu'elles étudient, ni d'elles-mêmes.

On aurait aimé, d'autre part, dans les articles monographiques, que la réflexion sur les œuvres contribue davantage à faire avancer la réflexion théorique. Ainsi, l'on pouvait peut-être tirer plus de conséquences de l'analyse par D. Hantelmann des réalisations de Buren pour la réflexion sur l'art contemporain. Si la critique ne put suivre Buren parce qu'elle «pense de manière plus représentative que les travaux de Buren», «plus dans le dire que dans le faire» (58), dans quelle mesure l'ambition de construire une théorie de l'art contemporain n'aurait-elle pas finalement justement les mêmes difficultés que la critique ainsi décrite? Cette remarque croise les réflexions de L. Blunck lorsqu'il se met à la place du spectateur, les pieds dans un seau et la tête dans un autre, de P. Ursprung lorsqu'il décide d'ancrer sa réflexion dans sa propre expérience de la performance d'Eliasson, et elle éclaire le débat de J. Rebentisch avec la position d'Adorno. La théorie de l'art interactif est probablement encore plus difficile que celle de l'art moderne, parce que cet art nous oblige à nous rappeler sans cesse que nous sommes des spectateurs, que nous ne pouvons pas nous débarrasser de nous-mêmes pour parler de lui - bref: parce qu'il radicalise à l'extrême la dimension personnelle de l'expérience esthétique, et menace même de tout rabattre sur elle. L'art interactif peut alors devenir l'antinomie exemplaire du dialogal, en cantonnant finalement l'activité qu'il prétend former de lui-même (performer) à l'intérieur du spectateur: débrouille-toi. La tentative, par Lars Blunck, de démontrer que l'intervention réelle du spectateur n'est pas nécessaire, montre bien le caractère très problématique de la question: peut-on se débarrasser du spectateur? La place du spectateur reste un point central non seulement du débat sur l'art contemporain - Michael Fried n'a peut-être pas si tort... -, mais aussi une condition de possibilité, bien gênante, de toute tentative d'esthétique de l'art contemporain.


Notes:

[1] L'Histoire de l'art est-elle finie? 1983 - trad. J-F. Poirier et Yves Michaud, Nîmes, Jacqueline Chambon, 1989 (trad. Française); Image et culte: une histoire de l'art avant l'époque de l'art, trad F. Müller, Ed. du Cerf, 1998, et Le chef d'œuvre invisible, 1998, trad. M.-N. Ryan, Ed. Jacqueline Chambon, 2003, et plus récemment, Bosch, le jardin des délices, Paris, Gallimard 2005.

[2] Aesthetik der Installation, Suhrkamp, Frankfurt am Main 2003, 301.

[3] La partie inférieure de cet iceberg est publiée dans Slavko Kacunko: Closed Circuit Videoinstallationen, Ein Leitfaden zur Geschichte und Theorie der Medienkunst mit Bausteinen eines Künstlerlexikons auf DVD, Logos Verlag, Berlin 2004, 1182 pages et un DVD.

Beatrice Joyeux