Rezension über:

Bruno Petey-Girard: Le Sceptre et la plume. Images du prince protecteur des Lettres de la Renaissance au Grand Siècle (= Travaux d'Humanisme et Renaissance; No. CDLXVI), Genève: Droz 2010, 638 S., ISBN 978-2-600-01401-4, EUR 125,24
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Rezension von:
Elie Haddad
Centre de Recherches Historiques, Paris
Redaktionelle Betreuung:
Matthias Schnettger
Empfohlene Zitierweise:
Elie Haddad: Rezension von: Bruno Petey-Girard: Le Sceptre et la plume. Images du prince protecteur des Lettres de la Renaissance au Grand Siècle, Genève: Droz 2010, in: sehepunkte 11 (2011), Nr. 5 [15.05.2011], URL: https://www.sehepunkte.de
/2011/05/18431.html


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Bruno Petey-Girard: Le Sceptre et la plume

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Les rapports entre pouvoir royal et littérature en France à l'époque moderne ont fait l'objet de nombreuses publications ces dernières années, principalement centrées sur le XVIIe siècle. Dans ce champ, B. Petey-Girard entend apporter une contribution de grande ambition, que souligne l'épaisseur de son ouvrage, en étudiant les images du prince protecteur des Lettres de François Ier à Louis XIV, afin d'éclairer les transformations des relations entre les Lettres et le pouvoir royal sur deux siècles.

L'ouvrage est divisé en deux parties inégales: une première, courte, consacrée aux théories du prince protecteur des Lettres, une seconde aux images des rois qui se sont succédé, dans l'ordre chronologique. La notion d'image n'est pas précisément définie: c'est une création, "qui peut valoir pour un instrument de pouvoir", et qui est un élément essentiel de la relation mécénique, sa part "idéale", dissociée par B. Petey-Girard de sa "réalité historique" matérielle et financière (10-11). L'analyse des évolutions de cette image est fondée sur des textes hétérogènes - institutions des princes, épîtres dédicatoires, pages d'éloquence et passages d'œuvres où se composent cette figure -, ainsi que sur de véritables images - peintures, sculptures, gravures.

La première partie s'attache à la marginalité de l'image du prince protecteur des Lettres dont les traits sont concentrés dans les préfaces et les dédicaces, marginalité qui répond au peu d'intérêt porté aux Lettres dans les théories du pouvoir royal (164). La figure même de Mécène ne serait pas associée à des enjeux politiques au XVIe siècle et sa signification changerait en fonction du plus ou moins grand investissement des rois dans la protection des lettres. Si les humanistes proposent une conception des Lettres et de la connaissance encyclopédique comme indispensables à la cohésion du royaume, seul Budé pense une véritable image du roi protecteur des Lettres en rapport avec une théorie de son pouvoir appuyé sur une éloquence lettrée. Encore cette "mythologie" (113) correspondrait-elle d'abord à la volonté de gloire des humanistes eux-mêmes qui les conduirait à mettre en exergue cette relation privilégiée des Lettres au roi, et non à une démarche politique du prince dont la protection ressortirait de ses goûts et de ses relations individuelles, propres à la vie de cour, avec des lettrés. Dès la fin du XVIe siècle, cette théorie humaniste n'est de toute façon plus qu'un souvenir emporté par les guerres de Religion. Les armes fondent de nouveau entièrement l'image du roi et, au XVIIe siècle, les Lettres sont d'abord perçues de façon utilitaire pour servir à sa gloire. Selon l'auteur, elles perdent par là leur caractère intrinsèquement politique, gagnant ainsi leur autonomie.

La seconde partie s'attache à la façon dont les lettrés eux-mêmes ont cherché à dessiner une image du roi protecteur des Lettres, image qui s'est, selon B. Petey-Girard, peu à peu précisée, préfigurant ce qui sera la politique culturelle de l'Etat. Les humanistes (l'auteur les prend comme un groupe uni) auraient contribué à créer l'image d'un François Ier protecteur des Lettres dans leur volonté d'obtenir ses bienfaits, tandis que ce dernier se préoccupait peu de la publicité de ses libéralités. C'est après sa mort que sa figure mythique a été construite par des poètes caractérisés comme "individualistes" - parmi lesquels Ronsard -, qui se sont ainsi forgé un modèle à leur mesure, présenté à Henri II qui n'est jamais parvenu à acquérir une image autonome de protecteur des Lettres par rapport à la célébration constante de son "père des Lettres". Et cela, même si le privilège du 4 janvier 1553 en faveur de Ronsard reconnaît à celles-ci une importance que seuls les lettrés leur conféraient auparavant (294sq).

Par la suite, l'épanouissement des Lettres est de plus en plus associé à la grandeur du royaume et l'image du roi protecteur des Lettres se dissocie de ses relations personnelles avec les lettrés. La célébration du prince remplace peu à peu son 'institution' à mesure que le pouvoir des Lettres n'est plus reconnu comme fondateur de l'Etat, ce qui les amènerait à se replier loin de la sphère politique tout en cherchant encore la reconnaissance princière. La mutation se perçoit sous Henri IV, loué pour favoriser les Lettres par la paix qu'il a instaurée, de la même manière qu'il favorise le commerce. Plus tard, face à l'absence de politique spécifique de Louis XIII en la matière, Richelieu s'approprierait cette image royale qui tendrait alors à devenir celle de l'Etat. La fondation de l'Académie française dessine le lien entre Lettres et gloire de l'Etat, qui pourra aussi être celle du roi à l'heure de l'absolutisme louis-quatorzien. L'Académie devient, sous ce règne, royale et finit par cesser ses louanges au prince dans les années 1680, tant le soutien des Lettres devient une habitude de gouvernement, et non le support de l'image du roi, tant surtout l'idée d'avancement des sciences est désormais dissociée de la générosité royale (565).

Ce plan en deux parties ne va pas sans quelques répétitions, tant il est vrai que, malgré les affirmations de l'auteur (583), on ne peut considérer les images formulées par les lettrés comme détachées de toute injonction royale, sans implication sur les théories du pouvoir, et ne relevant au fond que de la seule définition de la place des lettrés. On touche là la limite d'une approche qui se tient volontairement à l'écart d'une enquête historique et sociale sur la réalité matérielle de la protection des Lettres. Une telle enquête aurait permis d'éviter cette coupure artificielle, de comprendre le rôle du pouvoir royal dans les discours qui lui sont adressés, et donc d'analyser la relation mécénique des deux côtés, et non en sens unique. Ce refus a priori de prendre en charge le caractère sociopolitique de la relation mécénique conduit parfois l'auteur à des erreurs d'analyses, comme lorsqu'il dissocie l'amitié de tout enjeu politique (16) ou lorsqu'il coupe le mécénat de Richelieu de tout lien avec Louis XIII et la politique royale (439sq).

La méthode de l'ouvrage, cohérente avec cette position idéaliste, renforce encore les biais de la démonstration. Les nombreux extraits cités ne sont jamais réinscrits dans les ouvrages et dans leur contexte spécifique d'écriture et de publication. Ils semblent ainsi former un grand texte, qui gomme en partie les différences entre les auteurs et, surtout, empêche de percevoir les implications politiques de leurs écrits et de leur publication, quand bien même ils affirment par ailleurs leur retrait du monde politique à l'instar de Guez de Balzac (69) (voir la démonstration de Laurence Giavarini dans La Distance pastorale. Usages politiques de la représentation des bergers (XVIe -XVIIe siècles), Paris, VRIN / EHESS, 2010, fondée sur une démarche qui contextualise les ouvrages étudiés). De même faudrait-il prendre en compte la position de Ronsard comme 'prince des poètes', et ce que Terence Cave, non cité, a appelé sa "muse publicitaire", pour interpréter correctement ses plaintes et l'affirmation de sa gloire (308sq). Il faudrait enfin considérer le contenu des ouvrages dédicacés au roi, ou bien analyser quelles traductions sont dédiées à François Ier, ce qui est loin d'être indifférent pour interpréter les épîtres (210sq) et permettrait de ne pas faire de l'image de protecteur des Lettres le dernier mot politique de la protection du prince (377), en occultant la dimension politique des actions royales - par exemple l'octroi des privilèges d'impression (425, exemple de Descartes) -, ou en minimisant les programmes iconographiques célébrant la figure apollinienne de Louis XIV (520sq. Cette figure ne peut évidemment pas rivaliser avec celle du roi de guerre).

Aussi le livre n'emporte-t-il pas la conviction lorsqu'il cherche à réfuter celui de Christian Jouhaud, Les Pouvoirs de la littérature. Histoire d'un paradoxe (Paris, Gallimard, 2000), dont on s'étonne qu'il ne soit pas expressément cité: "de centrales car essentiellement politiques pour l'Humanisme, [les Lettres] tendent à devenir extérieures à la sphère politique - sans pour autant cesser d'entretenir avec lui des liens complexes et étroits -, s'offrant par là une nouvelle forme de protection qui scelle sans paradoxe l'indépendance de leur génie propre de plus en plus détaché du pouvoir" (165-166, je souligne). Une telle affirmation n'est possible que parce que 'politique' est pris dans une extension très vague, coupée des usages et des pratiques de pouvoir qui remettent singulièrement en cause l'idée d'une indépendance des Lettres - l'auteur montrant lui-même que les Bourbons les instrumentalisent. Il faut regretter que ce dernier ne se situe jamais explicitement dans le champ des débats académiques auquel son livre entend contribuer. Ainsi, l'ouvrage de Déborah Blocker, Instituer un "art". Politiques du théâtre dans la France du premier XVIIe siècle (Paris, Champion, 2009), n'est pas discuté alors qu'il propose une interprétation inverse de celle de B. Petey-Girard qui, dans sa volonté d'unifier sous le mot de "Lettres" des écrits hétérogènes, n'interroge pas des évolutions différenciées entre poésie, théâtre, sciences, dans leur rapport au pouvoir royal.

On l'aura compris, si B. Petey-Girard apporte de nombreux éléments éclairant les changements de l'image du roi protecteur des Lettres, sa démarche même le condamne à ne voir que l'évidence de la marginalité de cette image dans les préoccupations princières par rapport à celle du roi de guerre, sans parvenir à appréhender l'évolution des rapports entre politique et Lettres aux XVIe et XVIIe siècles. Son ouvrage prête alors d'autant plus à la critique qu'il passe sous silence les thèses portant sur ce thème qui lui sont contraires.

Elie Haddad