Le livre de Marco di Branco est une étude de synthèse, qui trace les lignes générales de l'histoire culturelle d'Athènes, de la fin du IIème siècle au début du VIème siècle de notre ère. Il se répartit en cinq chapitres, suivis d'un appendice qui reproduit un article précédemment publié sur l'image d'Athènes dans la littérature byzantine. Sous le titre "la cité des sophistes", le premier chapitre étudie les liens de la rhétorique et de la politique; le deuxième s'attache à dissocier les événements liés à la défense d'Athènes, au IIIème siècle, des légendes auxquelles ils ont donné lieu; le troisième évoque brièvement les rapports de Julien avec Athènes; un long chapitre décrit la "cité des philosophes", avec le rôle politique de l'École d'Athènes, de Plutarque à Damascius; enfin est étudiée la question des rapports entre païens et chrétiens.
Les sources analysées dans le premier chapitre relèvent du genre biographique, avec les Vies de Philostrate et d'Eunape, du genre encomiastique, avec le Discours panathénaïque d'Aelius Aristide, du genre satirique avec Lucien (L'eunuque, Démonax, Nigrinus); des allusions de Libanios, les souvenirs de Grégoire de Nazianze et le témoignage de l'Expositio totius mundi complètent le tableau d'une cité des études, dont le dynamisme culturel, parfois turbulent, est aussi un puissant moteur de la vie économique. L'auteur est attentif à dégager les implications politiques des réalités culturelles, ce qui fait d'autant plus regretter qu'il se soit privé pour ce chapitre des apports de la riche documentation épigraphique. Ses analyses posent le rapport entre l'évolution de la vie intellectuelle et celle de la politique impériale: l'attitude "interventionniste" de Marc Aurèle avait installé, avec les chaires impériales, un contrôle étroit, pour réguler les tensions suscitées par la "tyrannie" d'Hérode Atticus; le désengagement du pouvoir impérial après les Sévères aurait laissé le champ libre aux conflits politiques, qui se traduiraient, au IVème siècle, par l'explosion des violences estudiantines et l'institution du nomos attikos.
L'auteur veut distinguer réalité et mythologie à propos des invasions barbares. Selon lui, l'importance du raid hérule a été surévaluée. C'est ce qu'avait déjà estimé Alison Frantz, à qui il est cependant reproché d'avoir attribué à l'invasion hérule des destructions postérieures et cru à l'incendie de l'agora, sur la foi de Georges le Syncelle. Il faudrait, à l'appui de cette opinion, des démonstrations plus argumentées, car des traces de l'incendie ont bien été signalées. [1] De même, la chronologie de la carrière de Minucianus qui, né probablement dans les années 220, peut parfaitement avoir été encore actif vers 280, [2] ne contredit nullement les conclusions des archéologues sur la date de construction du mur "de Valérien". L'argument a silentio selon lequel le rôle de Dexippos fut, lors de l'invasion hérule, moins important qu'il ne l'a dit, parce qu'il n'a pas été reconnu officiellement par la cité, est très fragile; la découverte de fragments d'un nouveau monument en son honneur incite à redoubler de prudence. [3] Des épigrammes pour Illyrius, constructeur de l'enceinte, Marco di Branco donne une interprétation symbolique, rappelant les interprétations platoniciennes de la légende d'Amphion. Il attribue l'inspiration des poèmes aux milieux néoplatoniciens liés à Éleusis.
L'auteur discerne, dans la deuxième moitié du IVème siècle, un déclin de l'influence des philosophes païens, marginalisés. C'est ce que prouverait le récit de Zosime (IV, 18) à propos des rites théurgiques accomplis clandestinement par l'hiérophante Nestorios en 375. La fin du siècle est marquée chez les païens par la prédominance de la tendance théurgique, sous l'influence de Jamblique, dont un descendant finança des fortifications. Les légendes transmises par Zosime à propos des apparitions qui auraient dissuadé Alaric de ravager Athènes procèdent de la même inspiration. La réalité que magnifie ce récit fabuleux doit être une heureuse négociation des élites païennes, qui leur aurait valu un regain d'influence, dont témoignerait un groupe d'inscriptions relatives à des sophistes et au scholarque Plutarque. L'image qui se dessine est celle d'une Athènes partagée en deux courants de pensée, un bloc chrétien et un bloc païen dominé par le néoplatonisme théurgique. N'y existait-il donc pas, comme à Rome autour de Prétextat ou à Constantinople autour de Thémistios, pour qui les "Égyptiens" étaient aussi loin des Hellènes que les "Syriens" (V, 70 C), un courant païen épargné par la mode théurgique? Fallait-il être chrétien pour ne pas croire aux visions de Nestorios?
Le chapitre consacré à Julien relativise les liens de l'empereur avec Athènes: ses faveurs se situaient dans la continuité de la politique de Constantin et le séjour de jeunesse à Athènes a peu compté dans la formation de Julien empereur.
Le début du Vème siècle voit les premiers signes de la crise liée à la domination chrétienne et à l'apparition de nouveaux centres de formation des élites. Étudiant la famille du platonicien Plutarque, l'auteur identifie celui-ci au sophiste homonyme: on peut suivre ou non ses conclusions sur cette question controversée, sans partager son assurance qu'elle est définitivement tranchée par sa démonstration: le passage cité de la Vie d'Isidore indique au plus une parenté et les restitutions de l'épigramme attribuée au scholarque sont très incertaines. Plus convaincante est l'analyse de la dédicace du praeses insularum Plutarque, où des résonances néoplatoniciennes invitent à inclure le personnage dans la famille du scholarque. L'aggravation du déclin d'Athènes au milieu du siècle serait dû, non à un "fantomatique" raid vandale, mais à l'organisation par Théodose de l'enseignement supérieur à Constantinople. Cette concurrence aurait provoqué l'effondrement économique de la cité. L'idée que l'économie athénienne reposait essentiellement sur l'activité universitaire demanderait à être démontrée: elle risque d'être l'effet d'une perspective faussée par des sources d'orientation littéraire, telle l'Expositio totius mundi.
La suite de l'histoire de l'École d'Athènes est évoquée à partir de l'analyse de la Vie de Proclos de Marinus et de la Vie d'Isidore de Damascius. Proclos et ses disciples apparaissent comme un groupe de pouvoir dans la cité, un noyau de résistance païenne à la christianisation, dont l'évolution est étudiée dans le dernier chapitre. Longtemps lente et discrète, elle s'accélère au début du Vème siècle, probablement sous l'influence d'Eudocie et de sa famille. Les tensions entre païens et chrétiens n'apparaissent qu'à l'époque de Proclos, sans aboutir à un conflit permanent. L'engagement politique de l'École d'Athènes dut être la principale raison de sa fermeture par Justinien.
Même si certaines conclusions appelleraient des nuances ou des démonstrations plus rigoureuses, Marco di Branco fournit une étude richement documentée et stimulante, qui retrace de façon vivante les vicissitudes d'une capitale culturelle dans une période de grandes mutations.
Annotations:
[1] Alison Frantz: Late Antiquity: A. D. 267-700 (The Athenian Agora; XXIV), Princeton 1988, 4.
[2] Bernadette Puech: Orateurs et sophistes grecs dans les inscriptions d'époque impériale, Paris 2002, 354 et s.v. Dexippos, Iamblichos, Nicagoras, Ptolemaios, Ploutarchos.
[3] Elias Kapetanopoulos: P. Herennius Dexippos (I) Hermeios, in: Horos 14-16 (2000-2003), 129-139.
Marco di Branco: La città dei filosofi. Storia di Atene da Marco Aurelio a Giustiniano (= Civiltà Veneziana; Nr. 51), Florenz: Leo S. Olschki 2006, 299 S., ISBN 978-88-222-5542-6, EUR 30,00
Bitte geben Sie beim Zitieren dieser Rezension die exakte URL und das Datum Ihres letzten Besuchs dieser Online-Adresse an.