Julia Drost: La Garçonne. Wandlungen einer literarischen Figur (= Ergebnisse der Frauen- und Geschlechterforschung an der Freien Universität Berlin. Neue Folge; Bd. 2), Göttingen: Wallstein 2003, 312 S., 8 Farb-, 19 s/w-Abb., ISBN 978-3-89244-681-1, EUR 26,00
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La garçonne - cette femme androgyne aux cheveux courts - est devenue dans l'imaginaire culturel l'image même de la France des années 1920. Elle est le symbole de l'hédonisme d'une époque, mais représente également une nouvelle féminité moderne et indépendante. C'est pendant les "années folles" que s'impose la mode des cheveux courts, des vêtements à la silhouette androgyne et de la maigreur, associés à un mode de vie sobre et sportif. La garçonne se situe en effet entre une émancipation qui semble enfin possible et les nouvelles contraintes imposées par la culture de consommation. Dans les années 1920, elle est perçue comme un signe de l'égalité entre les sexes, mais l'idée que cet égalitarisme se fonde sur la masculinisation des femmes fait l'objet de violentes polémiques. Cette nouvelle image de la femme émerge donc comme un champ contradictoire où l'émancipation féminine croise les nouvelles normes sociales et culturelles en train de s'instaurer.
Si le terme "garçonne" évoque surtout l'image de cette féminité moderniste, l'appellation dérive à l'origine de la littérature. Le terme apparaît déjà dans les écrits de J.-K. Huysmans, mais doit son succès au roman de Victor Margueritte, La Garçonne, paru en 1922. Ce roman, presque méconnu aujourd'hui, a eu un très grand succès au moment de sa sortie, et a suscité de nombreux débats au sujet de la nouvelle féminité décrite par l'auteur. La création littéraire émerge ainsi comme le symptôme d'une plus vaste discussion concernant la différence des sexes. Le livre de Julia Drost, consacré aux différentes incarnations de la garçonne dans la culture française des années 1920, propose de lire cette figure dans un champ élargi, en déployant les différents aspects de sa réception culturelle. Ce livre s'appuie sur une importante recherche documentaire, souvent inédite, qui prend en considération le rayonnement social et culturel de la garçonne à travers la littérature, l'art, la mode et la vie quotidienne de la France de l'après-guerre.
L'auteur prend le roman comme point de départ, pour ensuite élargir sa recherche aux différents aspects de la question. Le livre est composé de trois parties qui inscrivent le phénomène de la garçonne dans la littérature, le débat intellectuel et la culture visuelle de son temps. La première est consacrée au roman dans le cadre de l'œuvre littéraire et du "féminisme masculin" de son auteur Victor Margueritte; la deuxième à la relation entre la figure fictive et la construction de la féminité en France dans les années 1920, tandis que la troisième partie retrace les transpositions visuelles de la garçonne à travers le cinéma, l'illustration, l'art et la mode. L'argument principal du livre est que celle qui naît comme une figure littéraire finit par devenir autonome en se transformant en un mythe - au sens que Barthes donne au terme - ancré dans la culture quotidienne.
En retraçant le parcours littéraire de Victor Margueritte, en particulier son intérêt pour les thèmes sociaux et son engagement féministe, la première partie montre la genèse de la protagoniste du roman comme l'expression du féminisme de son auteur. Le roman décrit la parabole de la jeune Monique Lerbier, son parcours d'affranchissement des conventions bourgeoises, sa libération sexuelle qui passe par la relation avec une femme, la déchéance entre des relations sans lendemain et la drogue, le retour final à un ordre hétérosexuel et enfin au mariage.
Malgré la conclusion moralisante, c'est la sexualité de l'héroïne de Margueritte qui provoque les réactions les plus scandalisées et devient le centre d'un débat concernant la jeune femme française. Ces controverses investissent également la personne de l'auteur et touchent en particulier à son engagement féministe. Il est en effet critiqué à la fois par les conservateurs, qui l'accusent de pornographie, et par des groupes féministes, inquiétés par la conduite sexuellement libérée de l'héroïne du roman. Au cours des années 1920, le mot garçonne devient également un synonyme de lesbienne, à une époque où les relations entre femmes étaient relativement tolérées et visibles.
Dans la deuxième partie du livre, Julia Drost illustre comment l'idée du dépassement des limites entre les sexes qui caractérise le discours sur la garçonne, est en vérité symptomatique d'une plus vaste "crise de l'esprit" qui suit le traumatisme de la guerre. Intellectuels et écrivains insistent sur le conflit générationnel qui s'exprime dans les années folles, dont la garçonne est le signe le plus visible. La nouvelle coupe de cheveux courts devient par exemple le symbole même de cette rupture. Le livre considère cette crise culturelle à travers un grand nombre de romans qui évoquent l'expérience de la guerre. Le concept de crise est ainsi utilisé pour décrire une société qui ne reconnaît plus ses fondements, une société qui, selon les mots de Drieu La Rochelle "n'a plus de sexes".
Mais l'importance de la garçonne ne se limite pas à des controverses littéraires ou moralisantes. L'image de la garçonne est le signe d'un changement en cours dans la construction de la féminité, qui investit en premier lieu la culture visuelle de l'époque. Elle représente de façon contradictoire une figure qui risque de subvertir l'ordre des relations entre hommes et femmes, mais à la fois qui est vite assimilée à la vie quotidienne. La mode vestimentaire et la culture de masse jouent un rôle déterminant dans cette assimilation de la garçonne. La polysémie de son image révèle en effet toute la complexité de la construction de la féminité à cette époque.
La dernière partie du livre, consacrée aux transferts visuels de la garçonne, explore les incarnations de la garçonne en s'attachant aux différentes transpositions cinématographiques, aux illustrations réalisées par Kees Van Dongen pour l'édition de luxe parue en 1925, et enfin à la mode féminine. Ces différents supports médiatiques construisent l'image de la garçonne et contribuent à visualiser une nouvelle féminité dans laquelle des milliers de femmes travailleuses, urbaines et indépendantes pouvaient s'identifier. Ce dernier aspect constitue peut-être la partie la plus originale du livre, qui retrace pour la première fois la construction visuelle du mythe de la garçonne. Elle s'appuie sur une grande variété de sources pour illustrer l'omniprésence de cette image féminine dans la France de l'après-guerre. En déployant une recherche qui dépasse la distinction entre culture d'élite et culture populaire, le livre de Julia Drost a le mérite de restituer une figure mythique à la complexité des relations sociales et à la culture de son époque.
Giovanna Zapperi