François Caron: Histoire des chemins de fer en France. Tome 1: 1740-1883, Paris: Libraire Arthème Fayard 1997, 706 S., ISBN 978-2-213-02153-9, EUR 33,60
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François Caron: Histoire des chemins de fer en France. Tome 2: 1883-1937, Paris: Libraire Arthème Fayard 2005, 1048 S., ISBN 978-2-213-62315-3, EUR 40,00
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François Caron: Les grandes compagnies de chemin de fer en France 1823-1937 (= Archives économiques du Crédit Lyonnais; No. 5), Genève: Droz 2005, 411 S., ISBN 978-2-600-00942-3, CHF 60,00
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François Caron, professeur émérite à l'université de paris-Sorbonne, couronne une œuvre d'histoire économique, des techniques et de l'entreprise dont la première publication majeure - l'édition de sa thèse d'Etat, publiée en 1973 - était déjà consacrée aux chemins de fer par deux ouvrages: l'un est la synthèse non seulement de l'histoire des chemins de fer mais d'un itinéraire de recherche et de la bibliographie du sujet dans tous les domaines. L'autre donne une leçon d'analyse d'une source trop négligée, celle des archives financières.
Les archives du Crédit lyonnais ont suscité une collection qui comprend déjà quatre volumes demandés aux spécialistes de chacun des secteurs concernés. Les chemins de fer font la démonstration de l'intérêt des archives des établissements financiers: les archives de l'analyse économique étudiées, choisies et commentées par François Caron ouvrent de nouvelles pistes de recherche, au-delà de l'histoire quantitative des investissements; elles renouvellent la vision des compagnies privées de chemin de fer françaises en mettant en valeur leur stratégie économique et leurs contraintes financières. De plus, elles offrent le point de vue trop souvent négligé de l'actionnaire et du monde financier, alors que les sources privilégient d'ordinaire soit l'entreprise elle-même, soit ses clients.
Ces sources sont continues et couvrent l'ensemble de l'existence de ces compagnies, depuis la première concession, en 1823, par l'Etat d'une ligne de chemin de fer jusqu'à la création, en 1937, de la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), société d'économie mixte qui absorbe les 5 compagnies privées qui se partagent encore le réseau français et les réunit aux deux réseaux possédés et exploités déjà par l'Etat.
François Caron a réparti cette documentation en quatre périodes. A la création des compagnies et à leurs différents accords avec l'Etat, jusqu'aux conventions de 1883 qui répartissent la charge financière de l'extension du réseau entre les actionnaires des compagnies et l'Etat qui leur offre sa garantie, succède la période trop souvent négligée de la «Grande Dépression» des années 1890. Les analystes du Crédit lyonnais y reviennent entre 1896 et 1900, dans une série d'études qui évaluent la capacité de chacune des compagnies à répondre à la chute des trafics et l'effet des mesures prises pour les relancer, à savoir les baisses de tarifs intervenues après 1885, très tardivement par rapport à l'Allemagne. En mesurant ainsi l'impact de la politique commerciale des compagnies sur l'activité économique, et inversement, ils démontrent l'importance considérable de ces entreprises dans l'économie et décrivent leurs modes d'influence et d'action.
Les années 1900 sont pour les compagnies ferroviaires celles de l'incertitude financière: l'approche de la fin des concessions, entre autres, précipite une chute des cours. Alors qu'elles représentaient en 1900 42 % de la valeur financière des sociétés cotées en bourse, les actions perdirent 30 à 50 % de leur valeur et le taux des obligations diminua de moitié. L'endettement des compagnies croissant, il aboutit en 1908 au rachat par l'Etat de la Compagnie de l'Ouest, diversement interprété mais qui se révèle profitable à ses actionnaires. Alors qu'en 1913 le chemin de fer assure 70 % du trafic des marchandises et 95 % du trafic des voyageurs, les avertissements se multiplient qui plaident pour l'étatisation des chemins de fer en France à l'exemple des chemins de fer italiens (création des Ferrovie dello Stato en 1905) ou allemands.
La dernière partie accompagne précisément la marche, accélérée par les conséquences de la guerre, vers la reprise par l'Etat des compagnies en échange de leurs dettes à son égard. La société d'économie mixte créée en 1937 avec une durée limitée a été remplacée le 31 décembre 1982 par un établissement public à caractère économique et commercial, qui a conservé le nom de SNCF.
La façon originale dont François Caron organise et interprète cette très riche matière nous fait entrer dans l'atelier de l'historien qui a produit l'Histoire des chemins de fer en France. Le titre modeste et classique qui réunit 1730 pages remplit très exactement sa promesse car il s'agit d'une histoire globale, complète, de l'ensemble des chemins de fer: les réseaux, leur croissance et leur rapport au territoire, le système technique et les logiques de son évolution, l'innovation et l'histoire sociale de la technique, les entreprises et, on l'a vu, leurs stratégies commerciales et financières, les clients, les transports produits et la mobilité des personnes et des biens, leurs conséquences sociales et la constitution d'une culture des chemins de fer qui marque jusqu'au monde de l'art. L'ensemble est inséré dans l'histoire des transports et des modes de pensée qui ont permis l'essor des chemins de fer depuis la moitié du XVIIIe siècle.
L'histoire des techniques ferroviaires, souvent décriée pour son attachement aux détails ou son mépris du facteur humain, est renouvelée ici par son insertion dans les mécanismes généraux de l'innovation et des contraintes financières et commerciales auxquelles étaient soumises les compagnies. On pourrait même dire que, au contraire, ce sont les hommes qui sont au premier plan de cette histoire des chemins de fer: financiers et ingénieurs, constructeurs, employés des compagnies ou consommateurs. L'ouvrage laisse une large place, à chaque étape, à l'histoire du mouvement social et syndical; il s'attache à restituer les traits et l'influence des ingénieurs qui constituent au cours du XIXe siècle un groupe de plus en plus uni par l'éducation, les liens familiaux, les convictions tout en entretenant une concurrence entre les compagnies et une émulation entre les inventeurs. L'index nominum de chacun des deux tomes est ainsi riche d'enseignements.
La place qu'y prennent représentants de l'administration et députés conduit à poser la question du rapport de l'entreprise privée chargée de la réalisation d'un service public et de l'Etat. François Caron refuse les controverses parfois trop influencées par notre actualité sur la définition d'un «modèle français» d'exploitation ferroviaire pas plus qu'il n'assume les discours qui ont régulièrement dénoncé les compagnies privées, repris par les historiens qui voient dans la création de la SNCF la conclusion logique et souhaitée de leur histoire. Tout en restituant les multiples étapes de ces relations, il construit une interprétation nuancée de l'entreprise ferroviaire et du «régime français des chemins de fer». Si sa sympathie va aux grands ingénieurs, experts en science ferroviaire, en économie et en management et à l'entreprise ferroviaire privée qu'ils dirigent, ce qui le conduit à mettre en avant le poids à son avis excessif de la tutelle administrative qui a pesé sur les compagnies à partir des années 1880, les empêchant d'ajuster leurs tarifs à leurs coûts de production et d'investir, il donne leur place aux facteurs financiers et analyse les conséquences de la guerre qui compromet les équilibres fragiles du début du siècle.
Mais, surtout, l'effacement des compagnies correspond à des changements profonds dans la vision que la société française a de ses chemins de fer: pour une cinquantaine d'années, elle les laissera derrière elle jusqu'à ce que les grandes vitesses leur redonne actualité et avenir.
Vision forte et synthétique de l'histoire d'un secteur, cet ouvrage offre également une synthèse de la production scientifique en histoire des transports du XVIIIe au XXe siècle, bibliographie récente ou grandes œuvres antérieures, toutes précisément discutées. On regrette qu'il ait jusqu'à présent donné lieu à aussi peu de comptes rendus critiques et de citations en langue anglaise alors que l'auteur connaît bien la littérature anglaise et américaine et s'insère avec pertinence dans l'ensemble des grands débats de l'histoire économique et des techniques contemporaine.
On regrette également que l'éditeur ait apporté peu de soin à la fabrication du livre, le second tome étant d'une qualité moindre que le premier qui bénéficiait de l'iconographie qu'appelle un tel sujet. Il lui conserve cependant un prix acceptable qui devrait favoriser la diffusion d'une telle référence.
Marie-Noëlle Polino