Rezension über:

Aude Busine: Paroles d'Apollon. Pratiques et traditions oraculaires dans l'Antiquité tardive (IIe - VIe siècles) (= Religions in the Graeco-Roman World; Vol. 156), Leiden / Boston: Brill 2005, x + 516 S., 2 maps, ISBN 978-90-04-14662-4, EUR 145,00
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Rezension von:
Carine van Liefferinge
Faculté de Philosophie et Lettres, Université Libre de Bruxelles
Redaktionelle Betreuung:
Matthias Haake
Empfohlene Zitierweise:
Carine van Liefferinge: Rezension von: Aude Busine: Paroles d'Apollon. Pratiques et traditions oraculaires dans l'Antiquité tardive (IIe - VIe siècles), Leiden / Boston: Brill 2005, in: sehepunkte 7 (2007), Nr. 1 [15.01.2007], URL: https://www.sehepunkte.de
/2007/01/10002.html


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Aude Busine: Paroles d'Apollon

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Le but de cet ouvrage est l'étude de la référence à l'oracle d'Apollon dans les provinces orientales de l'empire romain pendant la période de la naissance puis de l'affirmation du christianisme, et de là l'étude de ses enjeux politiques, culturels et religieux du IIe au VIe siècle de notre ère. Ce sont donc plus les contextes plus que le fonctionnement de l'oracle en tant que tel qui sont analysés. Les sources utilisées émanent de la tradition directe (inscriptions) et indirecte (sources littéraires citant des oracles).

Cette étude comporte deux parties bien articulées entre elles qui, des «paroles d'un dieu citoyen» (l'oracle est replacé dans le cadre de la cité grecque dans un nouveau contexte politique, celui de l'empire romain) passent aux «paroles d'un dieu prophète», montrant comment, sous l'influence de plus en plus grande d'une autorité émanant de l'Eglise, la figure du dieu citoyen évolue vers celle du dieu prophète dont les paroles vont cautionner une politique anti- ou pro-chrétienne. La première partie s'attache d'abord au cadre institutionnel des sanctuaires oraculaires, à savoir ceux de Delphes, Didymes et Claros encore en activité à l'époque impériale: leur fonctionnement dans le cadre de la cité, la question de l'authenticité des oracles (rédigés au sein des sanctuaires ou attribués a posteriori à Apollon), la production du texte sacré, le mode d'inspiration divine, le personnel oraculaire, l'émission et l'archivage de l'oracle et la clientèle des sanctuaires.

Cette analyse montre qu'Apollon est bien un dieu citoyen, dans la mesure où les membres du clergé sont liés aux intérêts de la communauté civique et que les consultants participent à leur manière à la gloire de leur cité. Ensuite, le rapport à la parole divine dans le cadre de la cité dépend de la façon dont les consultants s'adressaient à Apollon et des raisons pour lesquelles on faisait appel à l'oracle. Les motifs de la consultation sont d'une diversité étonnante, due à un mode civique (combattre un fléau, questions concernant le culte et son organisation) et à un mode privé (vie quotidienne, santé, problèmes domestiques, liés à l'amour et au mariage), mais les questions peuvent être également d'ordre théologique (qui est dieu, qu'est-ce qu'un dieu?) et reflètent une conception personnelle du divin.

Ces dernières questions s'inscrivent dans un contexte plus large de religiosité privée répandue aux premiers siècles de notre ère car elles ne s'adressent pas qu'au dieu de la mantique. Il faut en voir la cause ailleurs que dans la crise politique du IIIe siècle: il s'agit plutôt d'un changement de style de l'expérience religieuse, fondé sur la conviction que les entités divines sont le plus à même de divulguer à l'homme les secrets sur le divin. Sur la question du choix et de la fréquentation du sanctuaire, l'auteur revient sur les thèses traditionnelles et dégage différents types de réseaux: réseaux naturels (proches du sanctuaire) et politiques, mis en relation avec les enjeux de consultation pour l'individu (avantages connexes à la venue au sanctuaire, gloire individuelle des consultants) ou pour la cité (affirmation de sa place dans sa région et dans l'Empire).

Enfin, l'auteur replace les différents discours théologiques des sanctuaires dans les contextes politiques et religieux de l'époque, distinguant les oracles destinés à expliquer un phénomène incompris (expliquer le présent) et les oracles destinés à prescrire (le dieu prescrit d'accomplir des pratiques rituelles spécifiques, à partir des modèles du passé - sacrifices, libations, hymnes, prières -, tout en encourageant une nouvelle forme épurée du culte païen, centrée sur la prière et la contemplation). L'institution religieuse en profite pour asseoir son pouvoir politique et religieux, prescrivant d'élever une statue ou de consacrer un temple au dieu oraculaire ou à d'autres divinités de la cité. Ainsi les clergés de Claros et de Didymes plaçaient-ils l'autorité religieuse de leur Apollon au-delà des autres divinités.

À côté de ces deux types d'oracles, un troisième mode de révélations se fait jour, celles qui concernent le monde divin (oracles «théologiques»), expression d'une théologie païenne nouvelle, exprimée toutefois dans le respect des traditions.

La deuxième partie de l'ouvrage illustre le glissement de l'activité prophétique d'un Apollon centré sur la cité vers un nouveau type de recours à la parole divine se situant en dehors de toute référence à la cité. Apollon devient un dieu prophète dont les paroles vont servir à soutenir l'idéologie à la base de l'action politique menée contre les chrétiens et à partir du IIIe siècle, la littérature oraculaire va occuper une place centrale au sein des débats entre païens et chrétiens. Dans les oracles, il s'agit maintenant de trouver un enseignement philosophique. Tel est le cas des oracles réunis par Porphyre dans sa Philosophie tirée des oracles ou dans l'oracle d'Apollon de la Vie de Plotin. Après avoir reposé les sérieux problèmes philologiques posés par les œuvres de Porphyre, l'auteur montre en détails comment le philosophe de Tyr entreprit de faire des paroles du dieu une source d'enseignement philosophique sur l'organisation du monde divin et les relations possibles entre l'homme et les dieux, dans une entreprise de réhabilitation des pratiques rituelles incomprises et de plus en plus critiquées, et ce, dans un monde où l'autorité théologique a de plus en plus recours au livre. Mais les oracles servirent également à alimenter les pamphlets des chrétiens. Eusèbe de Césarée s'est particulièrement livré à la critique des oracles et de la divination dans sa vaste œuvre apologétique que sont la Préparation et la Démonstration évangéliques, recourant aux témoignages littéraires d'auteurs juifs et grecs (parmi ces derniers, Œnomaos de Gadara et Porphyre), citant les oracles pour critiquer les mythes grecs et leurs interprétations, ainsi que le sacrifice sanglant, et pour montrer que les dieux païens ne sont que des démons qui s'adonnent aux vices humains ou qu'ils sont soumis à la fatalité, contrairement au dieu des chrétiens.

Dans son utilisation des oracles d'Apollon, Eusèbe veut rétablir le statut prophétique des révélations bibliques cherchant à montrer qu'elles constituent l'unique source oraculaire pour atteindre la vérité. Les chrétiens ont également recouru aux oracles pour montrer qu'ils sont en accord avec les dogmes fondamentaux du christianisme. Au lieu de dénoncer le paganisme, il s'agissait de montrer que le christianisme en était la forme aboutie et que les doctrines chrétiennes avaient été prédites par la meilleure tradition grecque. Les apologistes chrétiens se sont attachés à montrer que les personnages divins du paganisme avaient jadis été inspirés par leur dieu pour professer le message chrétien bien avant l'incarnation du christ. Apollon fait partie de ces figures, ainsi que la Sibylle, Hermès Trismégiste, Hystaspe. Apollon devint prophète chrétien chez les mêmes auteurs qui l'avaient pourtant considéré comme un démon malfaisant, comme Justin ou encore Clément qui, dans les Stromates, reconnaît une valeur prophétique aux textes oraculaires attribués à Apollon.

L'auteur relève ainsi des oracles montrant Apollon admirateur des Hébreux dans la Cohortatio ad Graecos, chez Eusèbe et Cyrille d'Alexandrie. D'autres apologistes, comme Lactance ou Didyme l'Aveugle, font d'Apollon un professeur de théologie chrétienne dont les prophéties viennent renforcer les dogmes constitutifs de leur enseignement. Enfin, dans la Théosophie dite de Tübingen (collection chrétienne de prophéties issues du monde païen, dont une partie doit être rattachée à la production littéraire des sanctuaires apolliniens) qui contient des oracles d'origine païenne et d'autres qui sont des pseudépigraphes rédigés par des auteurs chrétiens plaçant leur production littéraire sous l'autorité d'une grande figure de révélation païenne, Apollon annonce la victoire du christianisme. Bref, que ce soit dans d'authentiques oracles ou dans de faux oracles forgés en milieu chrétien mais susceptibles d'être lus par les païens en raison de l'autorité toujours accordée aux paroles d'Apollon, le dieu de la mantique grecque servit de propagande à la religion nouvelle. Au terme d'une étude axée plus sur les contextes d'utilisation des oracles que sur leur contenu, le lecteur aura découvert une nouvelle approche sur l'évolution des pratiques et des traditions oraculaires replacées dans le contexte politique, social et culturel où évoluaient païens et chrétiens. Une belle étude, d'une grande clarté, ponctuée de conclusions intermédiaires très utiles, et complétée d'un catalogue des sources épigraphiques et littéraires, d'une importante bibliographie et d'indices.

Carine van Liefferinge