M. Laura Gemelli Marciano: Democrito e l'Accademia. Studi sulla trasmissione dell'atomismo antico da Aristotele a Simplicio (= Studia Praesocratica; Bd. 1), Berlin: De Gruyter 2007, XII + 376 S., ISBN 978-3-11-018542-3, EUR 98,00
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Depuis plusieurs années, Mme Gemelli Marciano s'intéresse aux philosophes présocratiques et aux atomistes antiques en particulier. Elle annonce comme étant imminente la publication d'un large choix de fragments des Présocratiques, qu'on attend avec impatience.
Le livre qui fait l'objet de ma présentation est consacré entièrement à Démocrite et à la transmission de l'atomisme antique entre Aristote et Simplicius. Ce livre, dense de données et riche de résultats, se fonde sur une méthode qui peut ne pas convaincre tout le monde, mais que je n'ai pas de difficulté à accepter. Pour étudier l'atomisme antique, qu'on ne connaît qu'à travers une transmission indirecte, il faut analyser attentivement les textes dans leurs contextes et leurs traditions (réhabilitation de la Quellenforschung) et essayer d'ancrer cette philosophie au contexte culturel du Vème siècle av. J.-C.
Gemelli Marciano souligne que les sources antiques, notamment Aristote et Théophraste, ont donné une interprétation des atomistes filtrée par des 'pré-jugés' et des 'pré-supposés' en 'traduisant' les mots et la pensée d'un système culturel à un autre (Gemelli Marciano parle de 'traduzione anempatica', 3). Elle reprend ainsi la définition et les conclusions de D. O'Brien, "La taille et la forme des atomes dans les systèmes de Démocrite et d'Épicure ('préjugé' et 'présupposé' en histoire de la philosophie)", RPhilos 107, 1982, 187-203.
Le livre se compose de sept chapitres, précédés d'une introduction (1-41) et suivi d'une synthèse générale. Il est enrichi d'une bibliographie (329-350. Elle est organisée en plusieurs sections, ce qui en complique la consultation) et d'un index des passages cités (351-376). Il n'y a pas d'index des noms.
Dans le chapitre 1 (Platon et Démocrite, 42-58), on revient sur le débat de la connaissance de Démocrite par Platon (je signale l'exégèse de l'anecdote transmise par Aristoxène [ap. Diog. Laert. IX 40] selon laquelle Platon voulait brûler les livres de Démocrite, mais en avait été détourné par les Pythagoriciens Amyclas et Clinias). Le chapitre 2 (Principi corporei/incorporei. Atomisti antichi, Platone, Accademici da Aristotele a Simplicio, 59-108) a pour but de montrer qu'il y a eu une double tradition en ce qui concerne la comparaison entre les principes de Démocrite et de Platon (Pythagoriciens): la première, qui remonte à Théophraste, et qui souligne les ressemblances entre l'atomisme de Démocrite et les théories du Timée de Platon; la deuxième, qui revient à Sextus Empiricus et qui propose une perspective 'diaphonique': la comparaison n'est pas à établir avec le Timée, mais avec la doctrine des idées-nombres de Xénocrate. Le chapitre 3 (Les origines de l'atomisme, 109-164) analyse le passage crucial d'Aristote, De generatione et corruptione I 8: l'atomisme trouverait ses origines dans la solution des apories des Éléates sur la multiplicité et le mouvement. Le quatrième (165-187) est réservé à l'étude de De gen. et corr. I 2, passage dans lequel on a supposé trouver une confirmation des thèses du chapitre 8 du même traité: les atomistes auraient fondé leur doctrine des indivisibles à partir des apories de Zénon d'Élée sur la divisibilité à l'infini. La lecture aristotélicienne de l'atomisme, présupposé de toute interprétation de cette philosophie de l'Antiquité à nos jours, est examinée en détail dans le chapitre 5 (Atomi e minimi. Concetti accademici e terminologia democritea in Aristotele, 188-219).
Le chapitre 6 (L'indivisibilità dell'atomo di Leucippo e Democrito nella dossografia tarda, 220-277) considère les témoignages 'doxographiques' tardifs qui décrivent l'atome comme étant indivisible du fait de sa solidité. On décèle cinq traditions: la tradition épicurienne; une couche tardive de la tradition péripatéticienne (p. ex., chez Alexandre d'Aphrodisias); une tradition critique transmise par les Stoïciens; une autre qui oppose dialectiquement l'atomisme de Leucippe à celui d'Épicure, et une, enfin, spécifique aux Néoplatoniciens. Toutes ces interprétations, et en particulier celle qui voit dans l'atomisme une solution de l'aporie de la division à l'infini, ne seraient que le résultat de la projection sur les atomistes de thèmes académiciens réélaborés de manière critique par Aristote (278). Le chapitre 7 (L'atomisme antique et son contexte culturel, 278-322) a pour but de placer l'atomisme dans son milieu culturel et historique. Le tableau alternatif de l'atomisme et de ses 'origines' qui en résulte est moins 'philosophique' et probablement plus proche de la réalité. Une synthèse générale (323-328) complète le livre et aide le lecteur à se retrouver dans les méandres des raisonnements et des hypothèses.
On serait tenté de résumer l'ensemble des résultats de cette recherche en reprenant quelques mots de la synthèse (327): les interprétations antiques n'aidant pas beaucoup à comprendre la vraie nature de l'atome et de la doctrine des atomistes en général, il faut se tourner vers les comptes rendus plus descriptifs, les fragments des écrits des atomistes, les textes des auteurs contemporains ainsi que vers le contexte social, politique et religieux dans lesquel ils ont vécu. Il en ressort un atome moins 'mathématique' et plus 'médical', plus 'politique', voire plus 'littéraire'.
Je voudrais attirer l'attention sur la précieuse analyse historique et culturelle de l'Athènes du Vème siècle dans laquelle Leucippe et Démocrite ont opéré (en particulier, les liens et les points de contact entre les atomistes et les œuvres du Corpus Hippocraticum: chap. 7), ainsi que sur l'introduction. Je recommande la lecture de ces pages, inspirées par des principes avisés et bien fondés (voir, p. ex., les remarques sur les citations littérales, 3-4) sur lesquelles il faudra méditer sérieusement.
Il s'agit d'un livre qui n'est pas facile à lire et dont les conclusions innovantes et hors des sentiers battus auront peut-être quelques difficultés à s'imposer. Gemelli Marciano en est consciente (VII-VIII), et l'on ne peut que se féliciter avec elle de sa courageuse relecture de Démocrite et de l'atomisme antique, fondée sur une saine méthode, proche des textes et respectueuse des contextes.
Pour conclure, je signale que ce volume est le premier d'une nouvelle série intitulée 'Studia Praesocratica', publiée chez l'éditeur de Gruyter, par Mme Gemelli Marciano, R. McKirahan, O. Primavesi, Chr. Riedweg, G. Strohmaier et G. Wöhrle.
Tiziano Dorandi