Rezension über:

Filippo Battistoni: Parenti dei Romani. Mito troiano e diplomazia (= Pragmateiai; 20), S. Spirito: Edipuglia 2010, 247 S., ISBN 978-88-7228-600-5, EUR 40,00
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Rezension von:
Olivier Curty
Département des sciences historiques - Histoire de l'Antiquité, Université de Fribourg
Redaktionelle Betreuung:
Matthias Haake
Empfohlene Zitierweise:
Olivier Curty: Rezension von: Filippo Battistoni: Parenti dei Romani. Mito troiano e diplomazia, S. Spirito: Edipuglia 2010, in: sehepunkte 12 (2012), Nr. 2 [15.02.2012], URL: https://www.sehepunkte.de
/2012/02/19377.html


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Filippo Battistoni: Parenti dei Romani

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Le livre de Filippo Battistoni présente les différents aspects du mythe extrêmement connu dans l'Antiquité et chez les chercheurs: celui des origines troyennes de Rome. En effet, les Romains prétendaient descendre des Troyens par l'intermédiaire d'Enée ayant accosté avec ses compagnons sur les côtes de l'Italie, après avoir fui Troie en flammes. Dans les deux premiers chapitres (15 à 45), Battistoni examine les implications de ce mythe sur l'historiographie moderne et contemporaine, des premières attestations, à partir du XVIIe s. jusqu'au XXe s. Soit dit en passant, ce mythe de l'origine troyenne sera repris par la monarchie française qui prétendra, elle aussi, descendre des Troyens par l'intermédiaire des Francs.

Mais revenons à Rome. Le mythe est déjà attesté dans les sources littéraires grecques depuis le Ve s. a.C., avant même que Rome ne possède sa propre historiographie. Toutefois, chez les premiers historiens latins, au IIIe s. a.C. , Enée est décrit comme le père des jumeaux Rémus et Romulus. Les travaux de l'érudition hellénistique vont modifier la situation. De savants calculs sur les dates des événements mythiques montrent que, dans la chronologie normalement acceptée, plus de quatre siècles séparent la chute de Troie de la date de la fondation de Rome, par Romulus, au VIIIe s. a.C. C'est pourquoi, face à l'impossibilité de rattacher directement Enée à Romulus et Rémus, les historiographes antiques ont créé la série des rois d'Albe pour combler le fossé temporel qui sépare ces personnages. Ces recherches chronologiques soulignent, pour nous, historiens du XXIe s., l'importance que les Anciens attachaient à la cohérence des événements mythiques entre eux.

Les parentés antiques de toutes sortes, qui sont fréquentes dans la diplomatie grecque et qui reposent sur ce genre d'érudition, doivent être traitées avec le même sérieux que les calculs chronologiques; elles aussi ont besoin d'être justifiées. En effet, l'histoire que l'on appelle mythique - qui, pour nous, ne possède pas de fondement réel - et les événements historiques - que l'on peut dater et/ou dont on retrouve des traces - ne constituent pour elles qu'un seul et même passé. Cela démontre que les événements mythiques et historiques sont soumis à une même chronologie. Si donc, une cité grecque peut attester avoir été fondée par un héros d'une autre cité, à l'époque mythique, le lien ainsi créé entre elles deux se conserve jusqu'à l'époque historique. Alors, à ce moment, il arrive qu'il soit invoqué soit par les poètes et les mythographes, soit par les historiens qui - les uns et les autres travaillant sur la même matière - lui imposent, mutatis mutandis, un traitement similaire.

Cette parenté entre Etats est proche de la parenté entre individus. Un vocabulaire semblable est utilisé dans l'un et l'autre cas, comme l'auteur le montre clairement au chapitre trois (47 à 77). En grec, les mots pour définir la relation de parenté sont syngeneia et oikeiôtès. Toute la difficulté surgit quand il s'agit de leur donner un sens dans une langue moderne. Pour Battistoni, les deux termes ont normalement des significations différentes. Afin de le démontrer, il utilise diverses preuves dont un passage de l'Ethique à Nicomaque (1161b-1162a) d'Aristote et, surtout, il analyse un auteur grec, Polybe, le fameux historien du second siècle a.C. Il est étonnant que Battistoni ait uniquement recours aux sources littéraires, mais, à sa décharge, il faut relever que les attestations de parentés sont quasiment absentes des sources épigraphiques latines. On pourrait cependant se demander dans quelle mesure Polybe se révèle comme un miroir des termes de parenté, dont l'étude systématique m'apparaît maintenant comme superfétatoire. Vouloir en effet établir une différence systématique et toujours équivalente chez l'ensemble des diplomates, des juristes ou des historiens semble relever de la gageure. Ceux qui s'y sont astreints - dont moi-même, je le confesse maintenant, avec une vingtaine d'années de recul - n'arrivent qu'à des résultats partiels, voire partiaux, remis facilement en question par les chercheurs contemorains qui ont tous des idées très arrêtées sur le sujet.

Cependant, Battistoni tente cette voie car c'est, selon lui, la seule possible. Il nous montre que le vocabulaire latin utilisé, plus que cognatio, qui est la traduction directe de syngeneia - le terme le plus utilisé en grec pour définir la parenté entre deux cités - insiste surtout sur le terme agnatio, qui marque la parenté patrilinéaire. Au-delà de cet aspect, qui concerne seulement le vocabulaire, il est intéressant d'examiner comment se comportent ces parentés dans l'Antiquité: à l'époque hellénistique, elles relient simplement deux cités entre elles, en se préoccupant uniquement de leur commune origine, tandis qu'à l'époque romaine, les cités situées loin du cœur de l'Hellade chercheront à se dire parentes des cités prestigieuses de la Vieille Grèce, telles Argos, Athènes ou Sparte. Ce sera alors l'époque, contrairement à la période hellénistique, des «belles» parentés.

Si nous revenons à celles de Rome, nous observons qu'elles se définissent toutes par les critères cohérents qu'a tracés la diplomatie grecque. C'était pour Rome, qui n'était pas encore maîtresse du bassin méditerranéen, la seule manière de s'insérer dans le jeu diplomatique de l'oikouménè, car aucune autre cité de l'Italie ne pouvait alors revendiquer des parentés. Battistoni, dans le cinquième chapitre (113 à 194), analyse par conséquent les parentés de Rome: celle avec Ségeste et aussi les Mamertins, en Sicile, celle avec Samos, celle, curieuse, avec les Héduens, peuple gaulois installé en Bourgogne actuelle, celle avec la cité de Centuripe et enfin, la fameuse avec les Lyciens. Nous constatons ainsi que les Romains ont repris, dans ce domaine également, l'héritage fructueux du monde hellénistique.

Pour conclure, on ne peut que recommander la lecture de ce livre fort intéressant qui, sauf erreur de ma part, analyse pour la première fois de manière systématique cette parenté. Battistoni y fait preuve d'une grande érudition, ce que confirme sa riche bibliographie. On pourrait toutefois regretter son style un brin alambiqué pour quiconque n'est pas un spécialiste de la problématique.

Olivier Curty