Rezension über:

Michel Pastoureau: Les signes et les songes. Études sur la symbolique et la sensibilité médiévales (= Micrologus Library; 53), Firenze: SISMEL. Edizioni del Galluzzo 2013, XII + 406 S., ISBN 978-88-8450-483-8, EUR 78,00
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Rezension von:
Martine Clouzot
Département d'histoire, Université de Dijon
Redaktionelle Betreuung:
Ralf Lützelschwab
Empfohlene Zitierweise:
Martine Clouzot: Rezension von: Michel Pastoureau: Les signes et les songes. Études sur la symbolique et la sensibilité médiévales, Firenze: SISMEL. Edizioni del Galluzzo 2013, in: sehepunkte 14 (2014), Nr. 12 [15.12.2014], URL: https://www.sehepunkte.de
/2014/12/24154.html


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Michel Pastoureau: Les signes et les songes

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Bien connus des spécialistes comme du grand public, les travaux de Michel Pastoureau ne cessent d'étonner par leur originalité et leur grande érudition. L'historien de l'héraldique et des couleurs a rassemblé 18 articles illustrant les territoires qu'il a défrichés, approfondis et pour lesquels il incite à poursuivre les enquêtes. De beaux dossiers de recherche sont en cours ou à explorer plus avant. Ce livre est fidèle à la démarche du médiéviste: partager sa passion pour le Moyen Âge, transmettre ses connaissances, inciter à construire une "histoire symbolique" en tant que discipline au sein des études médiévales, au même titre que l'histoire sociale, politique, économique, religieuse, artistique, littéraire, et en lien avec elle (ix). Comme à son habitude, et avec méthode, il se fait passeur d'idées et d'objets à étudier.

Le recueil réunit 18 articles sous les chapeaux "Animaux" (6 articles), "Végétaux" (2), "Couleurs" (5), "Corps" (3), "Objets" (2), ainsi que trois index (noms de personnes et de lieux, analytique et des manuscrits). On reconnaît là les thèmes de prédilection de l'auteur et on est ravi(e) de découvrir certains articles publiés en différents endroits et d'en redécouvrir d'autres. Historien des sensibilités et de la symbolique, l'historien commence par rappeler l'importance du symbole dans la société et la culture médiévales. "Outillage mental" essentiel à la pensée médiévale, le symbole est néanmoins protéiforme, polyvalent et ambigu, toute généralisation est à bannir car elle le réduirait à la simplification anachronique dont il est victime aujourd'hui. La richesse et la diversité lexicale et sémantique de la terminologie latine pour le désigner montre l'étendue et la difficulté de ses champs d'étude: signum, figura, exemplum, memoria, similitudo sont des termes difficiles à traduire en français moderne, non interchangeables, choisis avec justesse par les auteurs médiévaux. Ils ne désignent pas seulement des mots, mais aussi des objets, des images, des gestes, des rituels, des croyances, des comportements. Malgré la perméabilité entre les deux termes, le symbole ne doit pas être confondu avec l'emblème qui est "un signe qui dit l'identité d'un individu ou d'un groupe d'individus: le nom, l'armoirie, l'attribut iconographique sont des emblèmes"; "le symbole au contraire a pour signifié non pas une personne physique ou un groupe de personnes, mais une entité abstraite, une idée, une notion, un concept". Cependant, l'ambivalence de certains objets ou signes fait que, par exemple, les regalia du roi de France sont à la fois des attributs emblématiques qui l'identifient et des objets symboliques traduisant une certaine idée de la monarchie française. Aussi, Pastoureau n'a de cesse d'inviter à la prudence les chercheurs désireux d'étudier le symbole et l'emblème, d'autant plus face aux innombrables sources à croiser avec méthode et rigueur, sans anachronisme.

Les six articles sur les "Animaux" sont consacrés au lion, à l'ours, au sanglier, au cygne, au bestiaire des cinq sens et à de "Nouveaux regards sur le monde animal à la fin du Moyen Âge". L'auteur rappelle combien les documents sont nombreux, éparpillés, difficiles à croiser. Cependant, analysés dans la chronologie, selon les sociétés, ils ouvrent à des problèmes d'histoire culturelle de grande ampleur. La méthode de Pastoureau consiste à croiser les documents de toutes natures - restes archéozoologiques, images, textes littéraires (les romans) - l'informant sur la lexicographie, les savoirs encyclopédiques, les couleurs, les codes sociaux, l'héraldique, l'anthroponymie, les proverbes. Elle vise à éclairer les rapports entre les hommes et les animaux dans le domaine de l'histoire symbolique, sociale et culturelle, indissociable de l'histoire des pouvoirs politiques. L'Eglise est fortement intervenue dans la valorisation et la dévalorisation de certains animaux symboliques, en imposant de nouvelles hiérarchies animales entre le haut et la fin du Moyen Âge. On connaît maintenant le succès des travaux de l'auteur sur les deux animaux concurrents que sont l'ours et le lion dans l'Europe médiévale. Au tournant des XIIe-XIIIe siècles, sous l'influence de l'Eglise, le lion supplante l'ours et devient le roi des animaux dans toute l'Europe. L'héraldique en est un bon témoignage. De même, entre le IXe et le XIIe siècle, l'Eglise a valorisé la chasse au cerf au détriment de celle au sanglier. Le cerf est devenu un animal christique, un gibier royal, mais aussi un modèle dans la littéraire arthurienne et courtoise - Erec et Enide - et une figure héraldique importante. Ces renversements dans les hiérarchies animales au cours du Moyen Âge s'observent également dans les ménageries princières, pour lesquelles les sources et les études manquent. Comme dans l'Antiquité, elles sont réservées aux empereurs, rois, princes et grands seigneurs ecclésiastiques, puis présentes dans certaines villes et quelques grandes abbayes à la fin du Moyen Âge. Instruments politiques et diplomatiques importants, elles forment un "trésor", un bestiaire vivant et exemplaire, où les animaux sont souvent en couple, sur le modèle de l'Arche de Noé.

L'ambivalence symbolique caractérise également les couleurs. Tout au long de ses nombreux travaux, l'auteur n'a cessé de mettre en garde contre l'anachronisme qui plaquerait des interprétations modernes sur les couleurs médiévales. Les controverses théologiques envers les couleurs ont été vives selon les auteurs. Pour les hommes de science, comme Robert Grosseteste, la couleur est de la lumière, source de toute chose. Chez les hommes d'Eglise, deux visions s'opposent: celle des "prélats chromophiles" comme les Clunisiens et Suger, contre celle des "chromophobes" comme Bernard de Clairvaux pour qui la couleur est avant de la matière. Les hiérarchies symboliques changent à partir des années 1120-50 quand le bleu (marial, christologique, royal) vient concurrencer le rouge, sans le supplanter, et quand le vert et le jaune (et leurs associations) en viennent surtout à caractériser les vêtements du fou au XVe siècle. Ces perceptions énoncent une esthétique, celle de la belle couleur qui, au Moyen Âge, est une vertu porteuse de tempérance, d'équilibre, d'harmonie, de plaisir.

La partie consacrée au "Corps" croise l'histoire des hommes avec celles des animaux par une approche anthropologique de certaines parties de leurs corps. L'article "Les cornes, les poils, les oreilles et la queue. Se déguiser en animal dans l'Occident médiéval" explique bien l'hostilité de l'Eglise envers les déguisements des hommes en bêtes lors des mascarades ursines, des fêtes calendaires de carnaval, des rites agraires, mais aussi à travers "l'ensauvagement des tournoyeurs". Six animaux - l'ours, le cerf, le sanglier (bêtes sauvages), le taureau, le cheval et le bouc (bêtes domestiques) - expriment ce qu'est l'animalité au Moyen Âge: "un corps qui n'est pas lisse, ni glabre, ni régulier comme celui de l'être humain, mais tourmenté, accidenté, doté d'excroissances et de protubérances d'autant plus visibles qu'ils sont nus". Ensuite, l'"Héraldique du cœur (XIIe-XVe siècle)" montre en quoi le cœur est une "figure héraldique fortement signifiante", souvent parlante, très liée "à une légende ou à un fait historique particulièrement remarquable". A partir de la fin du XIVe siècle, la position de sa représentation sur le blason se déplace; cette modification a lieu aussi en médecine, faisant du cœur le "centre de l'énergie vital de la personne humaine", à la place du cerveau.

La dernière partie est consacrée aux "Objets" et rassemble trois articles sur le gant, le cor et les sceaux. A leur propos, Pastoureau rappelle qu'ils sont les grands absents des études historiques, alors que leurs mentions dans les documents textuels et iconographiques sont nombreuses et que certains objets archéologiques nous sont parvenus. Il montre comment le gant, appelé chirotheca et wantus dès le IXe siècle pour qualifier les gants liturgiques, en est venu à désigner les gants des laïques à l'époque féodale. Leur usage est toujours symbolique, qu'il intervienne au moment de l'onction liturgique ou de la remise de fief. Comme le sceau, le gant est un attribut corporel et social, un prolongement juridique du corps, une pièce obligée du vêtement noble et un symbole du pouvoir royal et princier. Dans beaucoup de ses travaux, Pastoureau a mis à l'honneur le sceau, objet en cire, iconographique, mobile et maniable, par l'analyse de ses multiples fonctions sociales, politiques, juridiques, et symboliques. On ne les rappellera pas ici. Enfin, concernant le cor, ses représentations font de lui un objet dynamique, parlant, sonore dans les images, comme le montrent par exemple les miniatures du Codex Manesse. Cor individualisé de Roland (olifant), il est un attribut (souvent héraldique) associé aux rois, reines, comtes, seigneur, vassaux, chevaliers, chasseurs, valets de vénerie, bergers, porchers, guetteurs, sergents, hérauts d'armes, crieurs de nouvelles, marins, pèlerin et saints.

Les articles ainsi réunis offrent non seulement des échantillons représentatifs (et passionnants) des divers travaux de recherches de Michel Pastoureau, mais aussi ils invitent à en explorer les thématiques avec le même bonheur.

Martine Clouzot