Peter V. Loewen / Robin Waugh (eds.): Mary Magdalene in Medieval Culture. Conflicted Roles (= Routledge Studies in Medieval Literature and Culture; 4), London / New York: Routledge 2014, XXIII + 304 S., ISBN 978-0-415-81315-0, GBP 85,00
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Amalgamant plusieurs personnages bibliques, Marie Madeleine est sans doute l'une des saintes les plus insolites de l'histoire occidentale médiévale, ainsi que le rappelle Theresa Coletti (276-290). À la fois pécheresse, mais aussi pénitente contemplative ou disciple de Jésus aux dons prophétiques exceptionnels faisant d'elle l'apôtre des apôtres, Marie Madeleine a été dépeinte en littérature, comme dans les arts plastiques et musicaux, sous des formes complexes mêlant inextricablement ses différentes attributions.
Le présent volume souhaite justement démêler l'écheveau de ces combinaisons parfois discordantes en réunissant les observations de spécialistes américains et européens experts de domaines artistiques variés ("Contributors", 293-297) dans douze contributions embrassant une longue période courant du XIIe au XVIIIe siècle. L'ouvrage souhaite ainsi bousculer les habitudes historiographiques en abordant les facettes multiples et contradictoires de Marie Madeleine à travers différentes formes d'expression culturelle et artistique, ambition clairement annoncée dans le sous-titre du recueil, affichée dans l'avant-propos de Katherine L. Jansen (XV-XX) et l'introduction (1-29), et poursuivie tout au long du volume. Celui-ci ne s'organise d'ailleurs pas de façon chronologique mais entend adopter une structure problématisée pour mieux explorer les différents rôles attribués à la figure de Marie Madeleine dans ses représentations artistiques et culturelles.
Ainsi, les deux premières parties "Mary Magdalene's Roles in Development" (31-96) et "Mary Magdalene's Roles in Tension" (97-160) mettent en lumière l'entrelacement des différentes fonctions attribuées à Marie Madeleine du Moyen Âge jusqu'au XVIe siècle à travers des sources aussi variées que des sermons (Larissa Juliet Taylor, 33-50), des offices liturgiques (Alicia Scarcez, 51-74; Donna Alfano Bussell, 104-160), des œuvres iconographiques (Heidi J. Hornik, 75-96; Joana Antunes, 116-139). Ces analyses mettent ainsi en évidence l'appropriation diverse et surprenante de la figure équivoque de Marie Madeleine notamment dans les œuvres d'art religieux. Alicia Scarcez explique, par exemple, grâce à son étude de l'antiphonaire de Westmalle 12 A-B, comment au tournant des années 1130-1140, les Cisterciens ont fait le choix audacieux de distinguer Marie Madeleine, jusque-là incluse dans l'invocation aux vierges, en composant un office spécialement dédié à la sainte et à ses multiples facettes, y compris celles les plus sujettes à la critique. Plus surprenant encore est l'examen mené par Joana Antunes sur un corpus d'œuvres plastiques: il révèle de quelle manière Marie Madeleine a parfois été représentée sous la forme d'une femme sauvage et velue, manière pour les artistes de mettre en exergue le caractère extraordinaire de cette figure complexe et paradoxale de pécheresse repentie.
Ces deux parties lèvent également le voile sur l'utilisation ingénieuse de l'aspect polysémique du personnage de Marie Madeleine aussi bien dans le monde politique (Elizabeth Monroe, 100-115) que dans le domaine religieux (Donna Alfano Bussell). Ainsi, Donna Alfano Bussell, en comparant plusieurs versions des Matines célébrées pour la fête de Marie Madeleine, identifie un aspect original de la liturgie issue du monde anglo-saxon: le prêtre, assimilé à Marie Madeleine, y prend les traits d'un pénitent plutôt que ceux d'un confesseur comme c'est alors le cas dans les œuvres liturgiques continentales. De cette manière, le prêtre apparaît comme marqué par la contrition dans le cadre de sa cura animarum et de ce fait, il semble être davantage à égalité avec les fidèles que membre d'une élite détentrice du sacerdoce.
La partie suivante "Mary Magdalene's Roles in Action" (161-225) montre que la diversité des fonctions de Marie Madeleine ne doit pas seulement être analysée sur le plan synchronique mais également de manière diachronique, chaque période ayant puisé ce qu'elle souhaitait au gré de ses besoins dans la pléiade de rôles qui étaient alors attribués à la sainte, de l'apostola apostolorum à la prédicatrice de Provence dans les œuvres iconographiques (Diane Apostolos-Cappadona, 163-180), de la courtisane séductrice à la pénitente vertueuse dans les mystères de la Passion (Peter V. Loewen, 181-207). Mieux encore: elle dévoile également comment des individus, et non pas seulement des groupes sociaux, se sont appropriés les différentes fonctions de cette sainte ambivalente, comme ce fut le cas par exemple pour Marguerite Kempe au XVe siècle. Celle-ci chercha, en effet, à rivaliser avec Marie Madeleine pour devenir à son tour l'Aimée du Seigneur en procédant à une véritable imitatio de la sainte. Pleurant et exhortant abondamment, elle souhaitait ainsi susciter à la fois l'admiration et le rejet, tout comme sa prédécesseure (Juliette Vuille, 208-225).
L'ouvrage se clôt par une dernière partie intitulée "Mary Magdalene's Proto-Feminist and other Subversives Roles" (227-275) et se consacre plus précisément au reflet de l'ambivalence de la figure de Marie Madeleine dans certaines œuvres atypiques, de la fin du Moyen Âge (Robin Waugh, 229-246; Joanne Findon, 247-257) au XVIIIe siècle (Corinna Herr, 258-275). Ainsi, Robin Waugh, grâce à sa lecture de La lamentation de Marie Madeleine, texte du XVe siècle en moyen anglais, démontre comment à la fin du Moyen Âge les images sacrées et profanes de Marie Madeleine se croisent pour délivrer un message hardi sur la question de la prise de parole des femmes. En effet, dans cette œuvre, le personnage de Marie Madeleine souhaite qu'à sa mort son cœur - alors considéré comme le siège de la parole - soit placé dans une boîte à onguents pour être présenté au Seigneur. Selon Robin Waugh, l'offrande de ce cœur peut être interprétée comme une intrépide suggestion de laisser les femmes accéder à la prise de parole religieuse et ainsi d'élaborer avec elles une voie originale de salut spirituel.
L'apport majeur de ce volume, abondamment illustré de photographies de manuscrits et d'œuvres d'art et accompagné d'un important index (299-304), est donc de faire saisir au lecteur toute la complexité historique mais également artistique et culturelle de la figure féminine de Marie Madeleine, en puisant largement dans les apports de l'histoire du genre - bien que le terme "proto-feminist" du titre de la quatrième partie soit discutable.
Néanmoins, on pourra regretter l'absence de photographies dans la contribution de Diane Apostolos qui rend parfois peu intelligible son propos si l'on n'est pas familiarisé avec les œuvres d'art auxquelles elle fait référence. Le choix de l'illustration de la couverture laisse tout aussi circonspect: non seulement celle-ci est loin d'évoquer toute la subtilité des réflexions présentées dans le volume, mais surtout elle ne figure pas Marie Madeleine, choix éditorial préjudiciable pour un ouvrage qui entend justement étudier les modes de représentations de la sainte. L'organisation du volume aurait également mérité d'être plus resserrée et moins décousue, car d'une part la confrontation des contributions amène à de nombreuses répétions sur l'émergence de la figure médiévale de Marie Madeleine et, d'autre part, la bibliographie générale arrive tardivement (291-298) alors qu'elle aurait pu être placée après l'introduction de l'ouvrage, par exemple.
Ces choix de publication n'enlèvent cependant rien à la finesse des observations proposées tout au long de cet ouvrage qui sera accueilli avec enthousiasme par les spécialistes d'études magdaléniennes, tout comme par les néophytes.
Anne-Laure Méril-Bellini delle Stelle