Rezension über:

Karl Whittington: Body-Worlds. Opicinus de Canistris and the Medieval Cartographic Imagination (= Text - Image - Context. Studies in Medieval Manuscript Illumination; 1), Turnhout: Brepols 2014, XII + 212 S., ISBN 978-0-88844-186-7, EUR 70,00
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Rezension von:
Sylvain Piron
École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris
Redaktionelle Betreuung:
Philippe Cordez
Empfohlene Zitierweise:
Sylvain Piron: Rezension von: Karl Whittington: Body-Worlds. Opicinus de Canistris and the Medieval Cartographic Imagination, Turnhout: Brepols 2014, in: sehepunkte 15 (2015), Nr. 6 [15.06.2015], URL: https://www.sehepunkte.de
/2015/06/26449.html


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Karl Whittington: Body-Worlds

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L'œuvre graphique et textuel du prêtre italien Opicinus de Canistris (1296 - vers 1353) ne cesse de stimuler la curiosité des chercheurs. La monographie que lui consacre Karl Whittington, issue d'une thèse de doctorat en histoire de l'art soutenue à Berkeley, se concentre sur son aspect le plus fascinant que sont ses cartes anthropomorphes. Dans ces cartes marines, l'Europe et l'Afrique du Nord prennent tour à tour l'apparence d'un homme ou d'une femme, voire d'un ange, tandis que la mer Méditerranée ou l'océan Atlantique sont occupés par des figures diaboliques. Ce sont ces corps-continents que l'auteur qualifie de "Body-Worlds". Élégamment composé, illustré de nombreuses reproductions en couleur, l'ouvrage justifie, pour une fois, le prix élevé d'un livre universitaire.

Une introduction substantielle synthétise efficacement l'historiographie. Le choix de l'auteur de "mettre entre parenthèses" la question controversée des troubles mentaux d'Opicinus est conforme à la stratégie précédemment adoptée par des historiennes nord-américaines (Victoria Morse, Catherine Harding). Il refuse pour autant de nier l'étrangeté de ses dessins. Sans prétendre en percer le sens, l'ouvrage se propose d'éclairer sa méthode.

Un premier chapitre présente de façon très détaillée les cartes marines qu'Opicinus avait probablement appris à dessiner lors des années passées à Gênes dans sa jeunesse. L'aspect géométrique du quadrillage des lignes de vents est particulièrement mis en avant. On y trouvera aussi une réflexion utile sur la valeur diagrammatique de ces cartes.

Le deuxième chapitre, consacré aux cartes anthropomorphes du cod. Vat. lat. 4365, expose une typologie composée de quatre cas, allant du simple au complexe: l'exemple d'une carte unique ne représente que la seule Méditerranée occidentale; trois dessins superposant le plan de Pavie à la description du bassin méditerranéen fournissent l'exemple d'un emboîtement du local dans le global; une autre formule associe deux cartes placées tête-bêche, qui peuvent être simplement juxtaposées ou partiellement superposées et d'échelles différentes; le modèle le plus complexe est offert par un dessin unique dans lequel une carte est une première fois dédoublée par effet de miroir, et à nouveau multipliée par une double carte jumelle placée en arrière-plan.

Le troisième chapitre se concentre sur les grandes planches de parchemin du cod. Pal. lat. 1993, mises en relation avec les différents modèles disponibles pour représenter les rapports du microcosme humain et du macrocosme, notamment celui de l'homme zodiacal qui associe les signes astraux aux parties du corps humain. C'est une avancée notable que de montrer comment Opicinus réalise des diagrammes sans équivalents, en mettant à profit toutes les ressources dont il pouvait faire usage.

Un quatrième et dernier chapitre s'arrête sur l'aspect sexuel de ces dessins. Un point important est établi en montrant que l'Europe et l'Afrique sont alternativement dépeintes en homme ou en femme, à part presque égale. En regard des organes sexuels proéminents du diable maritime, ceux des personnages-continents sont plus discrets. Si la lagune de Venise évoque habituellement le sexe féminin, dans un cas remarquable, c'est de là dont part une verge en érection au sommet de laquelle Opicinus se représente lui-même, son ordination comme prêtre étant ici associée visuellement à la circoncision du Christ. La référence à la théorie queer reste mesurée et pertinente. "Queering Opicinus" coule de source, tant ses dessins sont manifestement empreints d'une sexualité ambivalente.

Comme l'auteur le reconnaît en conclusion, en s'attachant uniquement à l'analyse formelle de ses productions, il n'a guère fait avancer la compréhension de ce qu'Opicinus essayait d'exprimer. Un acquis majeur ressort pourtant de cette approche formelle: chaque carte doit être comprise comme une expérimentation, remettant en jeu les mêmes matériaux pour parvenir à de nouvelles formulations. La qualité de ces analyses fait regretter qu'un usage trop limité des écrits d'Opicinus conduise à certaines approximations dans l'interprétation du contenu. Le cœur de son projet vise à représenter l'Église et à s'y inscrire lui-même. La structure globale des cartes exprime donc, de multiples façons, les divisions internes du monde chrétien. La côte d'Afrique du Nord correspond le plus souvent au visage de profil d'un religieux. Lorsqu'y est accolée la notion d'infidelitas, elle ne représente pas l'Islam mais le principe d'une "infidélité" interne de la chrétienté. Même dans ce cas qui semblerait aller de soi, la cartographie mystique d'Opicinus n'est pas corrélée aux réalités géo-politiques. Une autre limitation de ce travail tient au fait qu'il privilégie les images les plus expressives. L'auteur néglige ainsi un ensemble de cartes non anthropomorphes du cod. Pal. lat. 1993, centrées sur l'Italie septentrionale, qui auraient pu lui fournir une clé pour comprendre le principe général des superpositions et enchevêtrements de cartes. Il aurait également été utile d'examiner, de façon bien plus systématique, la présence de cartes invisibles dans de nombreuses planches, réduites à quelques noms de lieux, ou au contraire exprimées de façon très visible par les seules lignes de vents inscrites dans deux cercles. Ce sont là deux modalités dignes de retenir l'attention dans une étude consacrée à "l'imagination cartographique" qui est le sujet annoncé de l'ouvrage.

Une piste très intéressante n'est peut-être pas suffisamment explorée. Dans les images de la stigmatisation de François d'Assise, des rayons relient ses plaies à celle du crucifié qui lui apparaît sous la forme d'un séraphin. Le rapprochement qui peut être fait avec l'usage des lignes droites dans les cartes-dessins d'Opicinus n'est pas que formel. Il aurait été utile de souligner que l'une des diagonales les plus fréquemment représentées a pour point d'origine la plaie au côté d'un crucifié représenté à Jérusalem - la ligne tendant vers les îles purgatoires situées au large de l'Irlande.

Il est compréhensible qu'un jeune chercheur nord-américain, au début d'une carrière prometteuse, engage la discussion avec les historiens de l'art et de la littérature de son continent. Ces multiples références ne se révèlent pas toujours indispensables, puisque, comme il le reconnaît en conclusion, les dessins d'Opicinus ne correspondent à aucune des différentes formes d'"allégorie" évoquées. Alors que les historiens nord-américains ont une tendance croissante à négliger les travaux publiés dans les différentes langues européennes, on peut savoir gré à Whittington d'avoir pris la peine de lire et citer des travaux en allemand et en français. Il démontre en revanche un manque de curiosité à l'égard de l'historiographie italienne qui est dommageable pour son propos. Le livre pionnier de Faustino Gianani (1927) n'est pas mentionné, pas davantage que le premier signalement du cod. Vat. lat. 4365 par Roberto Almagià qui avait déjà proposé une typologie de la cartographie opicinienne, différente de celle retenue ici. [1] Sont également ignorés les travaux de Pierluigi Tozzi, qui a notamment démontré la précision de la description géographique de Pavie et de la Lombardie. [2] Il aurait aussi été utile de tenir compte des articles substantiels de Michele Feo, qui ont pour l'instant échappé à l'attention de tous les chercheurs. On y trouvera notamment l'édition et un commentaire approfondi d'un fragment inconnu des diagrammes d'Opicinus, feuille volante transmise dans un codex composite conservé au Vatican. [3] Enfin, en matière de cartographie, la thèse de Philipp Billion sur l'apparat graphique qui entoure les cartes marines aurait pu se montrer utile. [4]

Dans les limites annoncées, le travail accompli par Whittington est sérieux et utile. Ce volume rendra d'indéniables services. Faute de répondre aux questions les plus brûlantes concernant le sens des étranges dessins d'Opicinus, il rend plus désirables encore de nouvelles recherches.


Notes:

[1] Faustino Gianani: Opicino de Canistris l'"Anonimo Ticinese", Pavia 1927; Roberto Almagià: "Materiale cartografico elaborato da Opicinus de Canistris (Anonimo Ticinese), Avignone, 1335-38", in: Id.: Monumenta cartographica vaticana, 4 t., Città del Vaticano 1944-1955, t. 1, 95-98 et tav. 48.

[2] Pierluigi Tozzi: Opicino e Pavia, Pavia 1990; Id.: "II mundus Papie in Opicino", in: Geographia Antiqua, 1 (1992), 167-174; Id.: La città e il mondo in Opicino de Canistris, Varzi 1996.

[3] Simonetta Nicolini / Michele Feo: "Una scoperta di Augusto Campana: il frammento inedito di Opizzino de Canistris": I. Simonetta Nicolini: "'Il nostro amico Opicinus': breve storia di una scoperta e di un articolo mai pubblicato", II. Michele Feo: La "peciola" ritrovata (Fragmentum Barberinianum Lat. 2999), in: Cino Pedrelli (dir.): Omaggio ad Augusto Campana, Cesena 2003, 222-348; une version abrégée: Michele Feo: "La vita come vaso. L'autobiografia figurale di Opizzino de Canistri", in: Francesco Bruni (dir.): In quella parte del libro della mia memoria. Verità e finzioni dell' "io" autobiografico, Venezia 2003, 69-101, repris in: Id.: Persone. Da Nausicaa a Adriano Sofri, Santa Croce sull'Arno 2012, 262-292; Id.: "Il nome di Opizzino", in: Fabio Forner / Carla Maria Monti / Paul Gerhard Schmidt (dir.): Margarita amicorum. Studi di cultura europea per Agostino Sottili, 2 t., Milano 2005, t. 1, 255-281.

[4] Philipp Billion: Graphische Zeichen auf mittelalterlichen Portolankarten. Ursprünge, Produktion und Rezeption bis 1440, Marburg 2011.

Sylvain Piron