Anette Löffler / Rainer Berndt (Bearb.): Iohannis Tolosani: Commentaria rerum pene omnium in domo nostra Victorina (= Corpus Victorinum. Textus historici; Vol. 4), Münster: Aschendorff 2017, 360 S., ISBN 978-3-402-10443-9, EUR 52,00
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Né à Paris en 1590, entré à Saint-Victor en 1605, Jean de Thoulouse est élu prieur-vicaire de son abbaye en 1636. Dans cette charge, il résiste énergiquement aux tentatives du cardinal de La Rochefoucauld, grand aumônier de France et promoteur de la réforme tridentine dans le royaume, pour absorber Saint-Victor dans la Congrégation de France. Il finit par être démis et se retirer au prieuré d'Athis, où jusqu'à sa mort en 1659 il se consacre inlassablement à l'histoire de son abbaye. On lui doit des Annales abbatialis Ecclesiae Sancti Victoris Parisiensis, depuis la fondation jusqu'en 1612; des Antiquitates regalis abbatiae Sancti Victoris Parisiensis ordinis canonicorum regularium Sancti Augustini libri duodecim, décrivant le rayonnement de l'abbaye à travers son ordre, ses réformes et ses chanoines les plus illustres; un Abrégé de la fondation de l'abbaye de Saint-Victor-lez-Paris et une Fondation de l'abbaye de Saint-Victor-lez-Paris imprimés en 1640; un Liber memorialis, édité en 2001 par Jean-Baptiste Capit dans la collection Bibliotheca Victorina et relatant les souvenirs de Jean de Thoulouse de 1590 à sa mort; une Congregatio Victorina seu de spirituali iurisdictione abbatum et canonicorum regalis abbatiae Sancti Victoris Parisiensis in varias ordinis canonici Ecclesias consacrée selon son titre à l'histoire de la congrégation de Saint-Victor, des origines à 1634; une Fidelissima narratio omnium reformationum huius domus Sancti Victoris Parisiensis et successus earum ab origine eiusdem usque ad tempus praesens et annum qui pourrait avoir servi de travaux préalables à ses œuvres historiques.
Les Commentaria rerum pene omnium in domo nostra Victorina forment un dossier plus hétérogène, mais tout autant consacré à l'histoire de l'abbaye parisienne. Des quatre parties dont ils se composent, la première traite de la fondation et des actions des abbés de Saint-Victor des origines jusqu'à Jean. La deuxième énumère d'après le nécrologe le nom de chanoines victorins remarquables des deux premiers siècles, ceux du XII e siècle sur la colonne de gauche dans le manuscrit unique, ceux du XIII e siècle dans la colonne de droite, et la troisième poursuit en énumérant les noms de confrères ultérieurs, de 1303 au temps de Jean. Enfin, la quatrième partie rassemble pêle-mêle en français une note derechef sur la fondation abbatiale, puis des listes de biens ou revenus rangés dans l'ordre chronologique de leur donation, enfin des listes de personnages illustres qui ont pris l'habit victorin.
Comme ce dossier était inédit, il était à coup sûr utile de le rendre accessible à partir de son manuscrit unique et en grande partie autographe, Paris, Bibl. nat. de France, lat. 14686, f. 1r-66vb. Au lieu d'une édition critique, le choix a été fait d'une transcription imitative, parti qui dans le cas présent nous semble discutable pour plusieurs raisons. En soi, le fait de reproduire les particularités graphiques les plus minimes d'un manuscrit donné peut se justifier lorsqu'il s'agit d'étudier les particularités graphiques d'un scripteur, en l'occurrence Jean de Thoulouse. Or ici non seulement cette étude n'existe pas, mais elle n'est pas possible: à ceux qui voudrait consacrer une semblable étude au prieur victorin, mieux vaudra revenir au manuscrit, car si d'un côté les éditeurs ont conservé jusqu'au scrupule des particularités non orthographiques, comme la distinction entre « i » et « j » alors même qu'il ne s'agit pas de lettres différentes, mais de formes différentes de la même lettre (« viij Jdus Februarij », « conijcitur »), ou la distinction entre deux formes du « d » interprétée trop vite comme une distinction entre majuscule et minuscule (« LuDovici »), à l'inverse ils se sont autorisé quelques infidélités littérales par rapport à la source originale, soit en développant implicitement des abréviations qu'on pouvait conserver sans trop d'inconfort pour le lecteur (« B. Mariae » pour « Beatae Mariae », « B. Victoris » pour « Beati Victoris », « S. » pour « Signum », etc.), soit en omettant des repentirs de l'auteur (début du mot « Parisiensis », p. 55, l. 9), soit surtout en commettant d'assez nombreuses erreurs de lecture, particulièrement denses dans les sections en français.
Ainsi, aux lignes 4-10 de la p. 281 il faut lire « faicte ou ratifiée » et non « faicte ou ratifice » (l. 4); « Ce qui se coignoist » et non « Ce que se coignoyt » (l. 5); « ladite ville » et non « Ladi ville » (l. 6); « Chalon sur la Saone » et non « Chalon sur La Saune »; « ladite abbaye » et non « Ladi abbaye » (l. 8); « a eulx aumonnée » et non « a eex aumonnee » (l. 9); « personnes mentionnées audit Martyrologe » et non « personnes mentionnes audi Martyrologe »; « se font prieres » et non « se faict priers » (l. 10). Toutes ces bévues, qu'une rapide relecture par un spécialiste aurait permis d'amender, illustrent les effets nocifs d'un choix méthodologique qui s'est porté sur la tentative, inférieure à toute bonne photographie, pour conserver l'apparence matérielle d'un manuscrit, plutôt que sur l'effort, constitutif d'une édition véritable, pour transmettre au lecteur la teneur littéraire d'un texte.
Le texte des Commentaria est précédé d'une introduction bien faite sur: 1. la personne de l'auteur, 2. ses divers écrits, 3. le contenu des Commentaria, avec une intéressante étude sur ses sources, 4. son manuscrit, avec une caractérisation des trois strates d'écriture par Jean lui-même et des ajouts par ses confrères ultérieurs, 5. les principes d'édition. Il est enrichi à la fin de précieux indices des auteurs et des œuvres; des noms de personnes et de nations (Nomina personarum et gentium) - ces dernières comprennent curieusement des entrées comme Iuvenes S. V., Capitulum provinciale et même (horresco) Capitulum generalis; des noms de lieux et de royaumes; enfin des manuscrits.
Dominique Poirel