Lisa Colton: Angel Song. Medieval English Music in History, London / New York: Routledge 2017, X + 192 S., eine Farbabb., ISBN 978-0-367-22996-2, GBP 36,00
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Lisa Colton se donne pour objectif de déconstruire l'historiographie musicale anglaise qui fixe la musique médiévale autour de trois piliers : la pièce polyphonique Sumer is icumen in (XIIIe siècle), le compositeur John Dunstaple et le concept de contenance angloise. Bien que ces trois éléments aient clairement contribué à la construction de l'État national anglais, il semble qu'ils aient par là même empêché d'écrire une historiographie qui tienne compte de la diversité de la musique médiévale anglaise à laquelle Colton se propose de rendre justice à l'aide de nouvelles sources.
Sumer is icumen in, qui est la mélodie la plus emblématique du répertoire médiéval anglais, existe en deux versions : la plus connue est en anglais sur le thème profane de l'arrivée du printemps, mais la version latine sacrée (Perspice Christicola) écrite à la même époque est presque entièrement ignorée. Colton souligne l'obsolescence de la distinction classique entre répertoire sacré et profane tendant à présenter le premier comme une production musicale utilitaire, tandis que les pièces profanes étaient considérées comme uniques. Sumer is icumen in a été d'autant plus mise de l'avant que le reste du répertoire médiéval anglais est fragmentaire et anonyme, échappant au goût des musicologues d'autrefois pour la recherche de l'intention créatrice des compositeurs. Bien que l'auteur de l'œuvre ne soit pas connu, la forme en canon ou rota relève d'un niveau de complexité rare au XIIIe siècle, d'où l'intérêt persistant que lui portent les musicologues contemporains. Colton montre enfin combien le succès de cette mélodie s'inscrit dans un contexte savant et populaire empreint du nationalisme caractéristique du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle. La «Merrie England» que dépeignent les médiévistes de cette époque trouve son pendant musical dans le caractère folklorique de Sumer is icumen in, reprise à loisir par des ensembles professionnels ou amateurs et paraphrasée dans des œuvres pop ou classiques, telles que la Spring Symphony de Benjamin Britten ou le poème Winter Is Icumen In d'Ezra Pound.
Après une première partie consacrée à un motet profane dont la portée politique semble faible à l'époque de sa composition, Colton étudie quelques hymnes ayant servi à l'affirmation du pouvoir royal anglais à la suite de la canonisation du roi Édouard le Confesseur (1003-1066). Elle propose une analyse philologique du motet Regem regum collaudemus, du triplum anonyme Civitas nusquam conditur et de l'hymne mariale Singularis laudis digna. Si, en dehors de ces trois exemples, le répertoire sacré anglais ne fait que de rares allusions aux circonstances politiques contemporaines (guerre de Cent Ans), reste que le fait de chanter une hymne en l'honneur de saint Édouard le Confesseur dans l'abbaye qu'il a fondée à Westminster en présence de Henri III ou de Richard II a un lourd poids symbolique. La politique s'exprime dans la canonisation des rois puis dans la performance de leur culte. La musique religieuse contribue ainsi renforcer l'interpénétration de la sainteté et de la monarchie anglaise.
Si l'anonymat est la règle dans la plupart des pièces musicales médiévales anglaises, leur attribution fictive ou scientifique représente un beau sujet d'étude historique et historiographique que Colton propose dans le troisième chapitre à partir de deux figures de saints : sainte Edburga et saint Richard Scrope. L'autrice commence par exposer les différentes définitions musicologiques du motet médiéval anglais en proposant ensuite de dépasser les débats formels pour s'intéresser aux usages institutionnels de ces pièces liturgiques. La littérature de la même époque entraîne une reconnaissance individuelle importante pour les auteurs tandis que les compositeurs ne reçoivent pas aussi rapidement le crédit de l'authorship. Les attributions qu'on trouve dans des chroniques et autres traités n'ont pas la valeur légale de la propriété intellectuelle moderne, mais le fait d'être musicien ajoute aux personnages tels que les saints Scrope et Edburga une culture et une piété supplémentaire par le chant qui leur permet de mieux louer Dieu.
Le quatrième chapitre traite des différentes hypothèses biographiques liées au compositeur anglais le plus emblématique du XVe siècle : John Dunstaple Esquire, de Steeple Morden (Cambridgeshire). À l'aide d'un travail très soigné sur des sources notariales et fiscales variées, Colton a pu rapprocher l'écuyer-compositeur de mécènes aussi puissants que la reine Jeanne de Navarre, femme d'Henry IV dans les années 1420. Les démonstrations de l'autrice sont étayées par un grand nombre de documents inédits rapportés en annexes de façon aussi claire qu'utile. Tant par le biais des sources précédemment citées que par l'analyse musicologique de ses grandes œuvres liturgique, Colton arrive enfin à une nouvelle hypothèse datant la mort de John Dunstaple en 1459 et faisant de lui un astrologue fréquentant l'élite urbaine de son temps chez lequel la composition musicale n'occupait qu'une place secondaire.
Les deux derniers chapitres consistent en une remise en question des concepts d'Englishness et de Contenance angloise sur lesquels repose une large part de la tradition musicologique et historiographique anglaise. Au risque de répéter certains points relativement bien exposés dès les premiers chapitres, Colton déconstruit efficacement les deux concepts en question. L'Angleterre a perdu beaucoup de sources qui auraient permis de cartographier les mouvements d'échange de savoir nationaux et internationaux et l'anonymat du répertoire achève d'en compliquer l'attribution. Les angoisses nationalistes modernes liées à l'identité et aux migrations ont été projetées sur les compositions musicales médiévales. Les copistes en tout cas ne souciaient guère de distinguer l'origine géographique des pièces qu'ils rassemblaient et les formules stylistiques anglaises sont indissociables des compositions continentales. Colton retrace les grandes étapes historiographiques qui ont permis de jeter à bas l'Englishness, c'est-à-dire le mythe d'un style national anglais autonome, instinctif et limité aux frontières de l'île.
La locution contenance angloise, quant à elle, n'apparaît qu'une seule fois dans la littérature médiévale alors qu'elle est très présente dans la littérature musicologique. L'unique occurrence se trouve dans le Champion des Dames de Martin Le Franc (1440-1442). Cette formule est traditionnellement comprise comme l'expression de l'influence de la musique anglaise sur la musique européenne continentale. Or, contenance se trouve à la fin d'un vers et angloise au début du suivant. Pour Colton, cette rupture indique un jeu de mots dont les auteurs médiévaux étaient friands. Dans la littérature médiévale, nombre d'auteurs jouent sur la proximité entre Angle et ange, comme Jacques de Voragine dans la vie de saint Grégoire issue de la Légende dorée : «anglici quasi angelici». Ce n'est qu'à ce stade que le titre Angel song semble trouver son sens. En effet, comme l'établissent plusieurs textes liturgiques associés au culte des saints anglais, le peuple anglais recevait, par la tradition musicale religieuse et la proximité phonétique, une sorte de vocation angélique.
Dans cet essai de Lisa Colton propose une approche très contemporaine de la musique médiévale, au risque de fournir certaines explications sur les outils actuels de l'étude du Moyen Âge qui seront moins utiles aux médiévistes qu'aux néophytes. Cependant, l'étude approfondie de la tradition musicologique anglaise et sa mise en perspective par l'autrice demeurent convaincantes. Angel song constitue à la fois un bilan historiographique précieux et un enrichissement du regard porté sur la musique anglaise débarrassé des questions nationalistes passées.
Hugo Perina