Emma O. Bérat / Rebecca Hardie / Irina Dumitrescu (eds.): Relations of Power. Women's Networks in the Middle Ages (= Studien zu Macht und Herrschaft; Bd. 5), Göttingen: Vandenhoeck & Ruprecht 2021, 199 S., 27 Abb., ISBN 978-3-8471-1242-6, EUR 40,00
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Inscrit dans une démarche globale d'histoire de la puissance et de la domination dans les sociétés prémodernes chapeautée par le centre de recherche de l'Université de Bonn, l'ouvrage collectif Relations of Power. Women's Networks in the Middle Ages rassemble les réflexions de deux journées d'études qui se sont tenues en juin 2018 à l'Université de Bonn. Il s'agit plus précisément d'interroger comment les réseaux sociaux intégrant des femmes modelaient les formes de puissances en Europe occidentale durant un long Moyen Âge.
À la croisée de l'histoire des femmes et du genre et de l'histoire des réseaux, les huit chapitres ont donc pour objectif de démontrer combien les réseaux sociaux ont été des instruments de pouvoir utilisés habilement par les femmes médiévales. Conséquemment, ils cherchent à établir de quelle manière les sources médiévales ont représenté les réseaux relationnels et comment, à terme, la recherche historique peut analyser ces réseaux. Toutefois, bien que l'étude de réseaux soit l'outil d'analyse privilégié ici, l'ouvrage ne constitue pour autant pas un manuel méthodologique de théorie des réseaux. Chaque contributrice a ainsi été libre de développer non seulement sa définition personnelle des réseaux, mais également sa propre démarche d'analyse, ainsi que l'exposent en introduction Emma O. Bérat et Rebecca Hardie (9-18). Seule la toute première contribution (19-44) s'appuie strictement sur les outils désormais classiques de l'étude de réseaux avec des relevés de données qui, une fois exploitées, permettent de dresser des graphes de réseaux.
Si la question du pouvoir des femmes et de leur insertion au sein de réseaux au Moyen Âge n'est pas une nouveauté de l'historiographie médiévale, l'ouvrage se veut cependant résolument original en proposant de faire se rencontrer des travaux issus de champs de recherche très différents (archéologie, histoire de l'art, histoire, littérature) exploitant un large éventail de sources (sources matérielles, sources écrites, œuvres d'art) couvrant une longue période historique allant du IV e au XVII e siècle et centrées essentiellement sur l'Europe occidentale - nonobstant une incursion singulière dans le monde islamique du VII e siècle. De manière plus usuelle, l'essentiel des réflexions se concentre sur les femmes de rang aristocratique, voire royal - les femmes du commun étant peu accessibles en raison des biais dont la plupart des sources sont porteuses. Les contributions cherchent in fine à dépasser les analyses traditionnelles consacrées aux élites sociales, encore souvent marquées par une lecture axée presque exclusivement autour des hommes, en soulignant d'une part l'activité des femmes au sein des réseaux sociaux et d'autre part, les fluctuations de leur insertion et de leurs actions, ainsi que l'importance des objets dans les dynamiques spécifiques à ces réseaux.
De ce fait, l'un des apports majeurs de ce recueil est de centrer la réflexion sur des réseaux de nature différente (réseaux religieux, réseaux politiques, réseaux de parenté, réseaux nobiliaires) incluant des hommes et des femmes afin de mettre au jour la fonction de médiation qu'y jouent les femmes. Ainsi, Julia Hillner et Mairin MacCarron, à partir des cas de deux évêques exilés, Libère (IVe siècle) et Wilfrid de York (VI e-VII e siècle), mettent en évidence non seulement l'importance des femmes au sein de leurs réseaux relationnels mais, de plus, soulignent combien leur présence dans les sources permettant aux auteurs tantôt de valoriser, tantôt de critiquer l'attitude de ces hommes d'Église, dépendant par ailleurs partiellement du patronage de ces femmes pour asseoir leur autorité cléricale (1944).
Le processus est quasiment similaire dans le monde islamique du VII e siècle décrit par Alyssa Gabbay (155-167). Son observation des mentions de filiation matrilinéaire lui permet en effet d'établir que celles-ci constituent de véritables outils politiques pesant sur l'image des hommes dans le contexte particulier des débuts de la fitna. Autrement dit, la mention de la mère dans l'appellation filiale en usage dans le monde musulman est un moyen soit de rehausser le prestige d'un homme de pouvoir, soit de réprouver ses agissements.
C'est également la conclusion à laquelle parvient Jitske Jasperse dans son examen des liens sociaux de la famille Plantagenêt au XII e siècle, mais elle va plus loin en mettant en lumière comment les femmes de l'aristocratie, en raison des mobilités géographiques, sociales et familiales auxquelles elles sont soumises par le mariage, permettent un modelage complexe et mouvant des alliances au sein des élites (67-84).
Cette idée est confirmée par l'analyse de Karen Dempsey (169-196) consacrée à Gundreda de Warenne († 1085) et par l'étude d'Abigail Armstrong (85-104) dédiée aux deux nièces bretonnes du roi d'Angleterre, Édouard I er, élevées toutes deux à la cour royale. L'une, Marie de Bretagne (1292-1317) épouse le comte Guy IV de Châtillon-St Pol et conserve, après ses épousailles, des liens affectifs et politiques étroits avec son oncle. L'autre, Aliénor de Bretagne (1275-1342) apporte une nuance intéressante à la question des mobilités féminines liées au mariage, avec un parcours différent : l'entrée précoce au monastère. Dans ce cadre, Aliénor de Bretagne sait se servir avec beaucoup d'habilité de ses relations sociales pour faire valoir son autorité au sein de structures religieuses et politiques. C'est une situation similaire que présente Stéphanie Hollis à partir d'œuvres hagiographiques consacrées aux abbesses des monastères de Wilson et de Barking (133-153), suggérant parallèlement une capacité d'influence des femmes dans le domaine spirituel, questionnement largement approfondi par Mercedes Pérez Vidal qui montre le rôle actif des nonnes castillanes dans la circulation et la diffusion de livres liturgiques au cœur de la réforme de l'Observance (105-132). À terme, comme le conclut Lucy K. Pick (45-66), c'est donc moins le genre qui semble délimiter les bornes de la puissance que la capacité à agir et à collaborer au sein des réseaux sociaux, ainsi que l'aptitude à travailler les relations d'interdépendance entre individus.
L'autre point essentiel de ces travaux est l'attention accordée à la transmission et à la circulation d'objets - allant de livres ou d'anneaux précieux à de simples épingles à cheveux - plutôt que sur les transactions foncières, phénomène déjà bien étudié pour les élites aristocratiques, qui figure toutefois dans plusieurs chapitres (Lucy K. Pick, Abigail S. Armstrong, Karen Dempsey). Cet angle d'analyse met de ce fait en exergue les possibles corrélations entre dynamiques des réseaux, mobilités des femmes et mobilités des objets. Par voie de conséquence, le volume comporte de nombreuses photographies à l'appui des réflexions menées.
Pour finir, nous voudrions nous attarder quelque peu sur les supports iconographiques illustrant le volume. Si cette richesse iconographique permet de mieux saisir les enjeux exposés - c'est particulièrement vrai pour l'étude de Karen Dempsey qui appelle d'ailleurs de ses vœux une démarche archéologique globale pour analyser plus finement l'histoire des femmes médiévales - certaines illustrations auraient mérité une reproduction en couleur ou davantage d'espace pour être pleinement lisible (notamment la figure 1 page 50). Enfin, étant donné l'importance accordée aux parentés dans la plupart des contributions, des arbres généalogiques auraient été les bienvenus afin de pouvoir suivre plus aisément les parcours des différentes femmes étudiées au sein de leurs réseaux familiaux.
Anne-Laure Méril-Bellini delle Stelle