Roberto Biolzi / Bertrand Schnerb: "Jay grand envie de veoir assaillir". Guerre, guerriers et finances dans les États de Savoie à la fin du Moyen Age (XIVe-XVe siècle) (= Collection "Histoire"), Rennes: Presses Universitaires de Rennes 2024, 362 S., ISBN 978-2-7535-9360-2, EUR 26,00
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Allan V. Murray / Karen Watts (eds.): The Medieval Tournament as Spectacle. Tourneys, Jousts and Pas d'Armes, 1100-1600, Woodbridge: Boydell Press 2020
Loïc Cazaux: Les capitaines dans le royaume de France. Guerre, pouvoir et justice au bas Moyen Âge, Paris: Editions Honoré Champion 2022
Ralph Moffat (ed.): Medieval Arms & Armour: A Sourcebook. Volume I: The Fourteenth Century, Woodbridge / Rochester, NY: Boydell & Brewer 2022
L'histoire militaire du comté, puis du duché de Savoie, a déjà fait l'objet de nombreux travaux. Afin d'apporter un éclairage nouveau, l'auteur a privilégié une série de documents encore peu exploités : les comptes des dépenses militaires des XIVe et XVe siècles, conservés aux Archives d'État de Turin (Archives camérales, fonds 29).
L'ouvrage est divisé en deux parties. La première établit le cadre factuel et chronologique de la recherche. Les conflits majeurs ayant marqué la Savoie à la fin du Moyen Âge y sont résumés. L'histoire de ces guerres ayant déjà été largement étudiée, l'auteur se permet de renvoyer aux travaux existants, tout en se concentrant sur les causes et les conséquences des opérations militaires, sur les principaux événements diplomatiques et sur les effectifs engagés.
La seconde partie, bien plus intéressante à notre avis, s'attarde sur les aspects institutionnels, financiers et socio-professionnels des armées. L'enquête débute par une étude du personnel chargé de la gestion des dépenses militaires. Durant la première moitié du XIVe siècle, le rôle des châtelains et des baillis est prépondérant. Par la suite, une spécialisation du personnel administratif se manifeste, et des techniciens de la finance apparaissent. Enfin, le premier trésorier des guerres entre en fonction dans les années 1380. Le profil de cet officier, ses gages et défraiements, ainsi que ses fonctions (organisation de montres et revue d'armes, versement de la solde, etc.), sont également détaillés.
Si l'ensemble de l'encadrement de l'armée ne peut être ignoré, ce sont les maréchaux et les maîtres de l'artillerie qui retiennent l'attention de l'auteur. Il faut attendre les années 1360 pour voir émerger un maréchal digne de ce nom. Celui-ci doit être noble, vigoureux et rompu au combat. Il reçoit la délégation de l'autorité du prince pour la conduite des armées et son pouvoir décisionnel prévaut sur celui de tout autre officier ou homme de guerre. Son rôle administratif, son pouvoir judiciaire, son implication dans le maintien de la discipline ainsi que ses fonctions de conseiller ducal et de diplomate sont brièvement abordés.
Un "maître des fortifications, des bricoles, des truies et des autres artilleries" est mentionné pour la première fois en 1383. Il faut cependant attendre 1427 pour voir apparaître un maître de l'artillerie spécialisé dans les armes pyrotechniques. Cet officier est responsable de l'attelage et des ouvriers nécessaires aux déplacements des engins, recrute les artilleurs et supervise l'achat des ingrédients indispensables à la fabrication de la poudre. Il est également chargé du ravitaillement et de la défense des places-fortes, en veillant à la distribution de l'équipement adéquat aux troupes de garde.
Il n'est pas question d'oublier les combattants. Pour commencer, nous avons les hommes d'armes, qui forment l'élite de l'armée. Ils servent en vertu des obligations féodales. Cependant, dès 1320, le recrutement de type féodo-vassalique tend à s'affaiblir au profit du service gagé. Au milieu du siècle suivant, les vassaux ne considèrent plus le service militaire comme une obligation. Cela conduit à la mise en place d'un service volontaire et rémunéré, proche du mercenariat. Puisque certains capitaines agissent comme des entrepreneurs militaires, à l'instar des Écorcheurs ou des condottieri, les roturiers deviennent de plus en plus nombreux parmi les troupes à cheval.
Jusqu'au milieu du XIVe siècle, l'infanterie constitue l'ossature des armées. Elle est composée d'hommes majoritairement issus des communautés rurales et urbaines. Par la suite, grâce à la possibilité offerte à ses sujets de racheter leur service militaire, le duc s'assure des revenus lui permettant de recruter des combattants plus aguerris, notamment des mercenaires suisses et italiens.
L'étude du personnel lié à l'artillerie, à la logistique et au génie révèle un recrutement privilégiant les provinces alémaniques limitrophes de la Savoie. La forte composante étrangère de ces spécialistes suggère à la fois l'absence d'un véritable monopole princier sur les armes à feu et le caractère auxiliaire de cette élite hautement qualifiée.
Enfin, l'auteur tente d'estimer le coût de la guerre, le poids des dépenses militaires et les modalités de leur financement. Ces coûts étaient énormes : une campagne pouvait absorber l'ensemble des recettes de la trésorerie générale. Malheureusement, les revenus domaniaux et l'impôt, qui deviendront de plus en plus régulier à partir de la fin du XIVe siècle, ne permettaient pas au prince de disposer des liquidités nécessaires à la conduite de la guerre. Le crédit et l'emprunt s'avéraient aussi indispensables qu'insuffisants.
L'auteur souhaite répondre à trois questions : de quelle manière la guerre a-t-elle contribué à la construction de l'État, quelles sont les particularités des armées savoyardes et quels modèles ont influencé l'organisation militaire de la principauté ?
Jusqu'à la fin du XIVe siècle, la guerre est un moyen privilégié par les comtes pour agrandir leurs possessions et se construire un espace territorial plus cohérent et homogène. À partir de la seconde moitié de ce siècle, elle acquiert une nouvelle dimension. La guerre n'est plus seulement un outil permettant d'assouvir des ambitions territoriales, elle devient aussi un instrument de propagande destiné à accroître le prestige de la Maison de Savoie.
Tout cela avait un prix. Le XVe siècle voit des armées aux effectifs de plus en plus importants, un recours généralisé au mercenariat et l'utilisation d'un armement de plus en plus coûteux. Il fallait être suffisamment riche pour en supporter les coûts. Ce n'était manifestement pas le cas de la Savoie. L'auteur remarque avec justesse : "L'argent reste le nerf de la guerre et, si la guerre fait l'État, elle peut aussi le ruiner, ou du moins l'assombrir" (p. 283).
Les armées savoyardes accusent à la fois un retard par rapport à leurs voisins, mais font aussi parfois preuve d'avant-gardisme. La gestion financière constitue leur point fort, tant par la création de la Trésorerie des guerres que par l'uniformisation des soldes des combattants.
Le domaine dans lequel elles ont accusé le plus grand retard est sans aucun doute celui de l'artillerie pyrotechnique, puisqu'il faut attendre les années 1420 pour que le duc se dote d'un parc d'artillerie à poudre. En outre, le duché n'a jamais disposé d'une armée permanente. Le recrutement des combattants a toujours été une question essentielle. Lorsque le théâtre des opérations se situait en deçà des Alpes, c'était l'aristocratie seigneuriale qui fournissait au prince le gros de ses forces. En revanche, si la guerre se déroulait en Italie, le duc employait volontiers des compagnies de mercenaires pour compléter ses effectifs. Quant aux fantassins, ils étaient généralement levés dans les territoires limitrophes du théâtre des opérations. Tout cela entraînait de fortes disparités numériques et qualitatives d'une armée à l'autre selon les conflits et reflétait une principauté tiraillée entre plusieurs cultures.
L'espace géographique savoyard se situe à la croisée des modèles français, bourguignon, italien et suisse. Durant les trois premiers quarts du XIVe siècle, les comtes de Savoie sont influencés par le modèle des armées des Valois. Au fil du siècle, l'influence du duché de Bourgogne devient de plus en plus marquée. Le déplacement de la cour ducale à Turin, au milieu du XVe siècle, explique l'apparition d'un système d'enrôlement et d'encadrement très proche de celui des condottieri. Enfin, les ducs ont toujours admiré les Suisses et leur redoutable infanterie. Les armées savoyardes font ainsi preuve d'une grande capacité d'adaptation aux nombreuses mutations de l'art de la guerre.
Nous avons ici un excellent travail, dont la lecture ravira tous les passionnés d'histoire militaire.
Sergio Boffa