Leah Lazar: Athenian Power in the Fifth Century BC (= Oxford Classical Monographs), Oxford: Oxford University Press 2024, XIV + 297 S., 26 s/w-Abb., ISBN 978-0-19-889626-5, GBP 90,00
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La nature de "l'empire athénien" a depuis longtemps été discutée mais les données du problème ont aujourd'hui changé dans le domaine historiographique. Dans la période antérieure à la Deuxième Guerre Mondiale et au temps des empires coloniaux, la question ne se posait pas véritablement puisque la plupart des historiens raisonnaient en fonction de ce qu'ils voyaient de la domination du pays-métropole sur leurs colonies.
C'est l'ensemble de cette structure historique et intellectuelle que Leah Lazar interroge tout au long d'un livre "à thèse", toujours très bien informé à partir d'une excellente connaissance de la matière épigraphique, mais parfois déroutant en ce sens que le narratif porté par des autorités a priori indiscutables, de Thucydide à Russel Meiggs (The Athenian Empire, Oxford, 1972) est remis en cause de manière assez brutale. En affirmant dès le début de sa longue introduction (6-7) que l'orthodoxie (portée par les autorités ci-dessus mentionnées) sur ce sujet est à la fois erronée et (car ?) conditionnée par des attitudes (latentes ou explicites) colonialistes et centrées sur le monde occidental, Lazar inscrit son travail dans une perspective postcoloniale. Le ton est donné.
Une étude historiographique est donc menée avec précision et tous les "grands anciens", Meritt, Wade-Gerry et Mc Gregor, les auteurs consacrés des Athenian Tribute Lists, sont la première cible, responsables, avec la reconstruction des documents épigraphiques (singulièrement la lapis prima) et le soutien de Thucydide, d'avoir mis en place un narratif définissant pour toujours le principe d'une alliance sous Périclès et d'un pouvoir cruel sous Cléon. L'idée a été reprise par Russel Meiggs et Moses Finley lui-même "was limited by the same apologist understanding of Athenian power that influenced Meiggs", avec le même discours colonialiste britannique. Tout au contraire, Lazar salue les travaux épigraphiques plus récents d'Harold Mattingly, de Stephen Tracy, d'Angelos Matthaiou qui ont remis en cause des datations d'inscriptions, les travaux sur des zones géographiques périphériques à l'"empire". Mais, regrette-t-elle, "the ATL/Meiggs narrative still dominates" (11).
Le but du livre est de montrer que, presque toujours - à l'exception des dernières années de la ligue de Délos - le pouvoir athénien a largement préféré la négociation à la domination brutale, qu'une marge de négociation était toujours possible dans le cadre de l'alliance. Elle considère également que les discours que l'on trouve chez Thucydide ne reflètent pas entièrement le processus diplomatique en marche (19-20).
De fait, plusieurs exemples, tirés soit de la littérature, soit des inscriptions, peuvent conforter cette analyse. Aristophane, au travers des Acharniens et de ce qui nous reste des Babyloniens, prouve l'existence d'ambassadeurs venues plaider la cause de leurs cités pour tenter d'obtenir des remises sur leur tribut et Lazar voit à cette occasion dans certaines accusations contre Cléon la preuve d'enrichissements personnels possibles (88-89), ce qui revient à prendre pour argent comptant les propos du poète comique: il aurait là utile de prendre en considération le livre de Philippe Lafargue, Cléon, le guerrier d'Athéna, Bordeaux, 2013, pour mettre en perspective ces accusations qui n'ont jamais été étayées par des preuves.
Les inscriptions fournissent de nombreux textes "diplomatiques" (comme le montrent les très intéressants tableaux dressés en fin de volume), pour lesquels Lazar choisit en général la datation "basse" proposée par Harold Mattingly, ce qui bien entendu l'amène à considérer que les décrets les plus "impérialistes" sont contemporains de la guerre du Péloponnèse et, par voie de conséquence, que c'est bien le contexte de guerre qui explique le renforcement du contrôle athénien. Si Lazar convient que certains peuvent être de nature punitive (33), son idée principale est que l'ingérence athénienne dans les cités n'est guère prouvée (à part le décret pour Érythrées (IG I3, 14)) et accorde une large place à l'autonomie interne. Toutefois, s'appuyer sur le décret pour Samos de 405/4 (IG I3, 127) pour prouver l'autonomie accordée aux cités néglige le contexte militaire très défavorable (comme déjà les décrets pour Sélymbria et Néaopolis de 410/409, 52-56).
Il n'est pas ici question de reprendre tous les exemples cités, qui montrent l'étendue de la documentation sollicitée. Il n'est pas question non plus de négliger toute la part de négociation que les Athéniens ont pu avoir avec leurs alliés/sujets: avec raison et à plusieurs reprises, Lazar insiste sur l'idée que tout pouvoir a un intérêt certain à chercher une accommodation avec les sujets et plus encore à traiter de manière bilatérale, même si la comparaison avec l'empire achéménide ou d'autres exemples tirés de la période hellénistique ou même de l'empire romain laissent songeur dans le sens où le terme même d'empire aurait été à discuter puisque les Achéménides, les Séleucides, les Romains dominaient des zones immenses, aux langues et aux cultures variées - ce qui n'est pas le cas des Athéniens. Lazar admet tout autant que le principe de négociation est plus efficace encore quand, derrière, la menace d'intervention fait (pas toujours - ainsi Mélos) réfléchir les plus faibles, ce que Lazar appelle "carrots" et "stick". Qu'il y ait eu des concessions faites par les Athéniens à certaines communautés (Lazar reprend justement l'exemple de Méthonè) en s'appuyant sur des élites locales est une réalité. On sera évidemment en accord avec cette idée, mais on voit mal se dessiner alors ce qu'il peut y avoir de "post-colonial" dans l'analyse ni en quoi il faut renoncer aux éléments fournis par les ATL et Meiggs pour remettre en doute l'idée que le phoros fut d'abord volontaire avant d'être oppressif (67).
L'étude épigraphique (avec pour l'essentiel la datation "basse") permet à Lazar de remarquer que, parmi les décrets conservés, ceux qui se limitent à des honneurs décernés à des individus nommément désignés sont tous postérieurs à 410: les Athéniens se tournent alors vers les personnes les plus influentes des cités qu'ils cherchent à conserver dans leur alliance, ce qu'ils firent plus encore au siècle suivant. Les études régionales menées avec précision (le nord de l'Égée, la Méditerranée orientale, la région des détroits) montrent que, plus on s'éloigne de l'Attique; et plus les Athéniens ont cherché à convaincre plutôt qu'à sévir - ce qu'ils firent tout de même.
Ce livre est important dans le sens où il remet en cause des acquis que l'on croyait solides. Mais il montre que l'on n'écrit d'histoire que contemporaine, avec les certitudes du temps. Que les perspectives des savants qui ont étudié, depuis deux siècles, l'"empire" athénien, soient influencées par le contexte, qu'il soit politique ou colonial, est une réalité. Mais elle impose de conclure que la thèse ici développée, reprenant le narratif anti-colonialiste et anti-occidental ayant cours dans certaines universités anglo-saxonnes, court le même risque dans les années et les décennies à venir. Mais surtout cela n'interdit en rien de constater que nombre de conclusions, auxquelles les savants décriés étaient parvenus, s'appuyaient tout de même sur des realia.
Patrice Brun