Dominic J. O'Meara: Platonopolis. Platonic Political Philosophy in Late Antiquity, Oxford: Clarendon Press 2003, XII + 249 S., ISBN 978-0-19-925758-4, GBP 37,00
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'Platonopolis', le dernier livre de Dominic J. O'Meara, tire son titre d'un chapitre de la 'Vie de Plotin' de Porphyre (12) dans lequel on lit que Plotin, usant de l'amitié de l'empereur Gallien et de sa femme Salonine: "demandait de relever une cité de philosophes dont on disait qu'elle avait existé en Campanie", et dans laquelle "ceux qui devaient demeurer prendraient pour lois celles de Platon et donneraient à la cité le nom de Platonopolis". [1]
Contrairement à l'opinio vulgata qu'aucun auteur néo-platonicien n'aurait développé de véritable philosophie politique, O'Meara se propose de montrer que ces philosophes avaient en réalité organisé une pensée politique systématique fondée sur les présupposés métaphysiques et théologiques de leur philosophie, et qui avait comme modèle originaire et authentique le concept platonicien de homoiôsis theô ("assimilation à la divinité"). Il s'agissait, comme le souligne opportunément O'Meara (7), d'une philosophie politique qui avait affaire avec l'étude des structures sociales basées sur des principes ayant pour but la réalisation du bonheur et du bien des êtres humains. Les philosophes Néo-Platoniciens avaient donc bien compris l'importance de la science politique dans l'ensemble de l'oeuvre de Platon, et ils avaient vu dans la vertu politique un moyen d'atteindre la perfection de l'homme.
Le modèle sur lequel O'Meara fonde sa thèse est "l'allégorie (ou: "mythe") de la caverne" au livre VII de la 'République' de Platon (514 A-519 B): le philosophe, une fois achevé l'effort pour arriver à la vision des Formes, accepte de revenir dans le monde sensible et de se mettre au service des autres mortels. Afin d'atteindre "l'assimilation à la divinité", grâce à laquelle, selon Plotin (Ennéades I 2, 1), l'homme peut échapper au monde "sensible" et "devenir vertueux", il faut commencer par cultiver les quatre vertus cardinales dont Platon parle dans la 'République', et que Plotin définit comme vertus "politiques". D'un côté, ces vertus représentent le premier pas vers une "assimilation à la divinité" et, de l'autre, leur application reporte inversement de la réalité divine au domaine de la politique.
Après avoir énoncé dans ces pages introductives ses perspectives et sa vision de la pensée politique des Néo-Platoniciens, O'Meara consacre les trois parties suivantes du livre à la démonstration concrète de ses thèses. Dans les deux premières parties, O'Meara reconstruit la pensée politique néo-platonicienne par rapport, respectivement, à la divinisation de l'homme (ce qui correspond à la montée vers la divinité) et à la divinisation de l'état (ce qui correspond à la descente dans le domaine de la réalité sensible). O'Meara essaie de reconstruire pour la première fois la théorie politique des Néo-Platoniciens et de répondre, en particulier, à la question: pourquoi le philosophe, une fois arrivé à l'état de la contemplation et de l'assimilation à la divinité, doit-il redescendre dans le monde sensible, s'occuper des problèmes concernant l'administration de la polis, devenir roi? Dans la réponse qu'O'Meara donne à cette question cruciale réside le noyau de toute la philosophie politique des Néo-Platoniciens: si "l'assimilation à la divinité" est l'objectif de l'homme afin d'imiter complètement la divinité, le philosophe doit se consacrer aussi à la vie politique. Le philosophe-roi gouvernera le monde de manière "providentielle", comme le fait le dieu qu'il se propose d'imiter. Son but sera donc de rendre la communauté humaine le plus semblable possible à la réalité divine. Le résultat de tous ces efforts est une sorte de divinisation de la polis. Le régime gouvernemental auquel les Néo-Platoniciens donnent leur préférence est la monarchie, car elle reproduit la structure hiérarchique de l'ordre cosmique fondé sur le concept d'unité.
Les Néo-Platoniciens ne se sont pourtant pas arrêtés à définir le seul aspect constitutionnel et législatif, mais ils ont aussi développé une doctrine juridique et judiciaire s'occupant des cas de transgression de la loi, devant être punis selon les prescriptions déjà établies par Platon. La religion aussi joue un rôle très important dans leur pensée politique: elle a, en effet, la fonction déterminante de diviniser l'état.
Une tel projet était-il réalisable? Voici la question qu'O'Meara se pose, à la fin de la deuxième partie de son livre. Sa réponse est dans l'ensemble positive: cette réforme politique sera réalisable dans les limites imposées à la condition des hommes, êtres mortels et non divins.
Dans la troisième et dernière partie du livre, O'Meara étudie l'influence de la philosophie politique des Néo-Platoniciens sur certains penseurs chrétiens: Eusèbe de Césarée (IVe s.) et Augustin (IVe-Ve s.), le pseudo-Denys l'Aréopagite (deuxième moitié du VIe s.) et l'auteur anonyme d'un dialogue 'Sur la science politique' (VIe s.), ainsi que sur la pensée politique et théologique de l'Islam, en particulier de Fârâbi (IXe-Xe s.). Dans tous ces auteurs on retrouve des traces évidentes d'une pensée politique qui tend à se transformer continuellement en réflexion théologique.
Le volume s'achève par deux Appendices: le premier sur le rhéteur et philosophe Themistius; le deuxième sur le rhéteur néo-platonicien du IVe s. Sopatros. La lecture du livre est facilitée par trois index, des noms, des arguments et des lieux.
O'Meara a choisi de traiter un sujet ardu et, sous plusieurs aspects, encore vierge. D'autres lecteurs ne manqueront pas d'apporter des compléments, de proposer des interprétations alternatives de certains aspects, de suggérer de nouvelles hypothèses. La qualité du livre reste néanmoins considérable pour son unité et son originalité: il contient beaucoup de suggestions nouvelles; les hypothèses sont bien étayées et bien défendues.
Note:
[1] Traduction: Porphyre: La Vie de Plotin. Études d'introduction, texte grec et traduction française, commentaire, notes complémentaires, bibliographie, par Luc Brisson et al. (= Histoire des Doctrines de l'Antiquité Classique; vol. 16), Paris 1992.
Tiziano Dorandi