Helen J. Nicholson (ed.): The Proceedings against the Templars in the British Isles, Aldershot: Ashgate 2011, 2 vol., C + 1085 S., 3 maps, ISBN 978-0-7546-5394-3, GBP 150,00
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Sam Zeno Conedera, SJ: Ecclesiastical Knights. The Military Orders in Castile, 1150-1330, New York: Fordham University Press 2015
Thomas Krämer: Dämonen, Prälaten und gottlose Menschen. Konflikte und ihre Beilegung im Umfeld der geistlichen Ritterorden, Münster / Hamburg / Berlin / London: LIT 2015
Martin Browne / Colmán N. Ó Clabaigh (eds.): Soldiers of Christ. The Knights Templar and the Knights Hospitaller in Medieval Ireland, Dublin: Four Courts Press 2016
Le Procès des Templiers dans les Iles Britanniques, conduit entre octobre 1309 et juillet 1311, constitue la première grande affaire d'hérésie dans cet espace insulaire qui n'avait, jusque là, pas connu l'inquisition. C'est donc un dossier considérable contenu dans quatre manuscrits (215 fol. en tout) que H. Nicholson livre à la communauté scientifique. Le registre de référence (Bodleian Library, Bodley 454 = MS A) rassemble les dépositions reçues à Londres et à Lincoln. Le MS B (BL Cotton MS Julius B xii) contient un document de synthèse produit par les inquisiteurs entre avril et juin 1311 afin de conclure l'instruction dans la province de Canterbury. Le MS C (ASV, Arm. XXXV, 147) comporte les conclusions de toute la procédure des Iles Britanniques envoyées à la commission pontificale siégeant à Malaucène. Il s'agit ainsi du seul rapport préparatoire au concile de Vienne à avoir survécu. Le MS D collationne notamment une copie du XVIIIe siecle des Annales londoniennes portant sur les années 1307-1317 où le chroniqueur a inséré un résumé des preuves contre les Templiers issues du MS C. Les MS A, C et D étaient connus par des éditions antérieures mais qui ne répondaient plus aux normes scientifiques actuelles.
L'édition latine (vol. 1) est précédée d'une description soignée du contenu des manuscrits et de leur tradition, synthétisée par un stemma suggestif (xxviii). Dans la tradition du MS A, l'éditeur a toutefois omis de signaler la copie de la fin du XIXe siecle consignée dans les vol. 62-63 de la collection d'Albon à la BnF. Pour la transcription, H. Nicholson a pris le parti d'indiquer toutes les résolutions des abréviations entre parenthèses, tandis que la collation des variantes orthographiques ne se limite pas seulement aux différents manuscrits (A/B et C/D), mais rend également compte des lectures proposées par les éditions précédentes. La présentation de la transcription se veut la plus proche des documents originaux : les annotations, les marques de repère et même quelques dessins effectués dans les marges sont systématiquement reproduits, tandis que l'indication de la foliotation des manuscrits facilite l'utilisation parallèle des textes latin et anglais. La traduction anglaise intégrale (vol. 2) est enrichie d'un solide appareil critique comportant notamment l'identification, aussi systématique que possible, des personnages cités. Les erreurs qui peuvent se glisser (Esquieu de Floyran n'est pas de Béziers mais Agenais et Albert de Blacas n'est pas Italien mais Provençal...) seront inévitables tant que ne sera pas constituée une base prosopographique systématique des Templiers cités dans l'ensemble des sources du Procès. La traduction est précédée d'une présentation de 60 pages où sont abordés les problèmes posés par ce procès britannique, d'une part pour l'histoire procédurale, d'autre part quant à la fiabilité des témoignages comme source historique. Tableaux (chronologie du procès, xix-xxv), cartes (provenances des frères interrogés) et appendices (liste analytique des différentes possessions du Temple et prosopographie des frères mentionnés dans les dépositions) complètent avantageusement la démonstration.
La commission inquisitoriale a travaillé à Londres, Lincoln et York, tandis que les juges ont envoyé des délégués en écosse et en Irlande. Au total, 108 templiers furent interrogés, dont 74 pour la province de Canterbury. Si, dans cette province, le premier interrogatoire a porté sur 88 articles d'accusation, un certain nombre de frères subirent un double ou même triple interrogatoire portant sur 25 puis 5 articles supplémentaires. H. Nicholson relève notamment l'intérêt soutenu des inquisiteurs pour les comportements des frères en matière de confession et d'absolution. Elle omet de rappeler que les questionnaires détaillés sur ces pratiques s'inscrivent pleinement dans la pédagogie de l'intériorisation du péché sur laquelle l'Église insiste tant depuis le 4e concile de Latran - une intériorisation qui passe par l'aveu, que celui-ci fut arraché par le confesseur ou par le juge. Or, c'est précisément au début du XIVe siecle que les théologiens remettent en cause la pratique ancienne et longtemps admise qui permettait à un fidèle de se confesser à un autre laïque en cas de danger mortel. Il n'est pas exclu que les dangers de la vocation militaire aient amené les frères - qui ne faisaient peut-être pas bien la différence entre le système sacramentel lié à la confession et la discipline interne de leur ordre - à banaliser la pratique par laquelle un chevalier laïque agonisant se confiait parfois à un pair en l'absence de prêtre. Bien que ce procès se caractérise par un usage fort modéré de la torture, l'éditeur consacre un assez long développement au sujet (xl et suiv.). On peut pourtant se demander jusqu'à quel point les études alimentant sa réflexion, qui portent essentiellement sur le XXe siecle, sont transposables à l'usage médiéval de la torture. Quelques considérations sont discutables, comme l'idée que les Templiers auraient reconnu avec réticence avoir subi la torture parce que le droit romain réservait cette dernière aux esclaves. Sous l'Empire, il arriva que des citoyens romains fussent torturés et les frères devaient, de toutes façons, être peu au fait de la législation sur la question ! D'autre part, l'utilisation de la fama dans les procès d'hérésie n'est pas seulement " admise " (" admissible ", xxx), elle est au cœur de la procédure inquisitoire ! Il suffit pour s'en convaincre de s'arrêter à la bulle Faciens misericordiam reproduite deux fois dans le MS A ou à la lettre adressée par Clément V le 12 août 1308 aux prélats d'Angleterre (MS A, 5r). La procédure se clôt par l'abjuration de l'hérésie par les Templiers de la province de Canterbury en juin-juillet 1311. Il n'en demeure pas moins que les inquisiteurs ont peiné à obtenir des aveux et que la culpabilité des frères anglais fut établie bien davantage sur la base des faits reprochés à l'ensemble de l'ordre et notamment en France. On voit bien, en parcourant les actes et en considérant la précision des grilles d'interrogatoire, combien ce procès se nourrit de l'expérience acquise par les inquisiteurs du royaume de France. À cet égard, il n'est peut-être pas insignifiant que, dans la commission dépêchée en Angleterre, figurent trois clercs du Midi - ce laboratoire de la théocratie où l'inquisition a pu parfaire ses techniques contre toutes les formes de déviance religieuse. C'est peut-être aussi ce demi-échec de la procédure britannique qui explique l'importance prise ici par les dépositions de témoins extérieurs à l'ordre : corrodaries, notaires et surtout de nombreux frères mendiants. Certains de ces témoins avaient fréquenté les frères, mais beaucoup de faits relatés sont aussi de seconde voire troisième main et colportent rumeurs et topoi. On relève d'autre part que les juges attendaient des mendiants davantage un avis sur la culpabilité des templiers qu'un témoignage stricto sensu (MS A, 151r et suiv.). Le fait que le MS C écarte des témoignages favorables à l'ordre et comporte au contraire certaines dépositions à charge absentes du MS A (et donc d'origine obscure) suggère bien, me semble-t-il, l'instrumentalisation de ces témoignages extérieurs dans la procédure. Les topoi, pour certains puisés dans le fond de la tradition populaire, font tout l'intérêt de ce procès britannique qui alimente ainsi le dossier d'un " folklore templier " déjà bien vivant avant que la fin dramatique de l'ordre ne lui donne une nouvelle dimension.
Au total, c'est un travail considérable qu'H. Nicholson a réalisé en rassemblant, en comparant systématiquement et en annotant les diverses pièces d'un dossier jusque là plutôt méconnu. Cette publication modèle laisse espérer que l'on entreprenne le même examen critique avec le procès parisien de l'ordre du Temple. Si l'édition de Jules Michelet a inspiré bien des recherches, le ms lat. 11796 de la Bibliothèque nationale de France, à condition d'être collationné avec l'autre transcription de la procédure conservée à l'Archivio Segreto Vaticano, mériterait pourtant une véritable édition scientifique.
Damien Carraz