Unn Falkeid: The Avignon Papacy Contested. An Intellectual History from Dante to Catherine of Siena (= I Tatti Studies in Italian Renaissance History), Cambridge, MA / London: Harvard University Press 2017, 279 S., ISBN 978-0-674-97184-4, USD 49,95
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La polémique a bien longtemps pesé sur la papauté d'Avignon. Entre la dénonciation de »l'exil babylonien« chère aux auteurs italiens et les efforts des historiens français, de Baluze à Guillaume Mollat pour rattacher son histoire à celle du royaume de France, il a fallu du temps pour analyser sereinement la place de l'épisode avignonnais dans l'histoire de l'Eglise et de l'Occident et pour en comprendre l'importance. En cela, l'historiographie moderne n'a fait que prolonger des débats déjà très vifs au XIVe siècle, en un temps où la montée en puissance des pouvoirs souverains et la violence des crises qu'elle a suscitées ont stimulé une intense activité intellectuelle et des remises en cause profondes. C'est tout le mérite du livre d'Unn Falkeid de rassembler et d'analyser les plus spectaculaires de ces critiques visant alors le chef de l'Eglise résidant à Avignon, et de souligner ainsi l'existence d'un fort courant contestataire même s'il prend des formes très variées.
Quelques textes de six auteurs célèbres, couvrant l'ensemble de la période avignonnaise jusqu'au début du Grand Schisme, sont ainsi successivement étudiés: Dante (1265-1321) à travers son Paradiso VI et son Monarchia, Marsile de Padoue (v. 1275-v. 1342) et le Defensor Pacis, Guillaume d'Ockham (v. 1287-v. 1347) et son Breviloquium, la correspondance de François Pétrarque (1304-1374), celle de Brigitte de Suède (1303-1373) enrichie de ses Révélations, celle de Catherine de Sienne (1347-1380) complétée par son Dialogue. Le choix est judicieux, et même si bien d'autres auteurs auraient pu être mobilisés (par exemple un Philippe de Mézières), on comprend aisément qu'une sélection s'imposait.
En revanche, la construction de l'ouvrage, en six chapitres consacrés chacun à un auteur, est un peu décevante. Elle donne l'impression, comme l'avoue l'auteur dans ses remerciements, de regrouper six livres en un seul, sans faire ressortir suffisamment les points de convergence, les évolutions. Surtout, l'étude court le risque d'une »histoire intellectuelle«, assumée d'ailleurs dans le sous-titre, se contentant d'une lecture des textes, fine et précise mais dont les enjeux ne sont pas toujours suffisamment perçus. Certes, l'auteur fait un constant effort de contextualisation, mais celle-ci aurait pu être davantage exploitée. La présentation générale de l'installation de la papauté à Avignon, par exemple, se montre trop dépendante d'une historiographie ancienne, à peine corrigée par les travaux de Joëlle Rollo-Koster. L'image d'une papauté très liée au royaume de France (5), doit être sérieusement nuancée, et Avignon ne se trouve pas dans »le Sud de la France« (2), mais bien dans le comté de Provence, c'est-à-dire en terre d'Empire. On peut discuter aussi de l'affirmation conclusive qui voit dans la période avignonnaise »le zenith du pouvoir pontifical en Europe« (173). Si elle peut se justifier par la centralisation grandissante de l'administration ecclésiale, elle est plus contestable sur le plan des rapports avec les puissances temporelles. Le XIIIe siècle, d'Innocent III à Boniface VIII, donne sur ce point des signes bien plus spectaculaires de la suprématie pontificale. Une présentation plus fine des faiblesses de la papauté avignonnaise aurait pu aider à mieux comprendre les liens étroits et ambigus de certains des auteurs étudiés avec les souverains pontifes, Grégoire XI par exemple s'étant manifestement servi de la réputation de Catherine de Sienne pour justifier son retour à Rome.
Plus généralement, on peut s'interroger sur l'objet même des critiques formulées dans ces textes: est-ce vraiment la papauté d'Avignon qui est contestée, ou plutôt la théocratie pontificale, formulée de manière spectaculaire par Boniface VIII? Le livre d'Unn Falkeid montre plutôt que la question d'Avignon ou de Rome ne se pose vraiment qu'à partir de Pétrarque, c'est-à-dire au moment où le pontificat de Clément VI donnait l'impression d'un enracinement de la cour pontificale sur les bords du Rhône. Auparavant, c'est avant tout la place du pouvoir pontifical et sa légitimité qui sont interrogées, vis-à-vis de l'empereur chez Dante, du legislator humanus chez Marsile de Padoue, ou de la communauté des fidèles chez Guillaume d'Ockham. Avec la démarche humaniste de Pétrarque, que l'auteur aborde essentiellement par son admiration pour le tribun romain Cola di Rienzo, la nostalgie romaine se fait de plus en plus présente. Elle est renforcée encore par les appels insistants à la réforme de l'Eglise, sous les mots de Brigitte de Suède ou de Catherine de Sienne, ces femmes prophétesses, visionnaires et mystiques dont Unn Falkeid souligne avec raison l'implication dans les affaires politiques et ecclésiastiques. Pour elles comme pour beaucoup d'autres, le retour à Rome devient synonyme d'un retour aux sources. Et pourtant, celui-ci déclenchera en 1378 la plus grave crise subie par la papauté, celle du Grand Schisme. On peut regretter le traitement purement factuel accordé à cet épisode à la fin de l'ouvrage, car il aurait éclairé le dernier combat de Catherine de Sienne au service d'un pontife peu défendable, Urbain VI, mais susceptible à ses yeux de réformer enfin les abus des cardinaux et des prélats.
Le grand intérêt du livre d'Unn Falkeid réside dans la confrontation de ces textes produits par des auteurs brillants très impliqués dans les affaires de leur temps, mais tous différents, hommes ou femmes, poètes, théologiens ou philosophes. L'analyse est souvent précise, soutenue par un riche appareil de notes, et l'utilisation de l'ouvrage est facilitée par un index assez complet, alors que la bibliographie reste quelque peu modeste. Même si le lecteur aurait souhaité que la volonté de l'auteur de franchir les limites de l'histoire intellectuelle soit davantage suivie d'effet, il ne peut qu'être impressionné par la richesse et la vitalité des débats de ce XIVe siècle, lorsque le pape vivait à Avignon et que tout semblait pouvoir être remis en question.
Paul Payan