Dominique Poirel / Marcin Jan Janecki / Wanda Bajor et al. (eds.): Omnium expetendorum prima est sapientia. Studies on Victorine thought and influence (= Bibliotheca Victorina; XXIX), Turnhout: Brepols 2021, 547 S., ISBN 978-2-503-59650-1, EUR 100,00
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Ivan Foletti / Klára Dolealová (eds.): The Notion of Liminality and the Medieval Sacred Space, Turnhout: Brepols 2020
Michele Cutino (ed.): Poetry, Bible and Theology from Late Antiquity to the Middle Ages, Berlin: De Gruyter 2020
Thomas Fischl: Mitgefühl - Mitleid - Barmherzigkeit. Ansätze von Empathie im 12. Jahrhundert, München: Utz Verlag 2017
Dominique Poirel: Des symboles et des anges. Hugues de Saint-Victor et le réveil dionysien du XIIe siècle, Turnhout: Brepols 2013
Cédric Giraud / Dominique Poirel: La rigueur et la passion. Mélanges en lhonneur de Pascale Bourgain, Turnhout: Brepols 2016
Dominique Poirel (éd.): Pierre Abélard, génie multiforme. Actes du colloque international, organisé par l'Institut d'Études Médiévales et tenu à l'Institut Catholique de Paris les 29-30 novembre 2018, Turnhout: Brepols 2022
La célèbre collection de Brepols, Bibliotheca Victorina, publie ici son 29ème volume. Fort de 22 contributions en cinq langues et dans la veine encyclopédique de la collection, l'ouvrage est en réalité le fruit d'une collaboration franco-polonaise, résultat du partenariat entre Dominique Poirel, l'un des meilleurs érudits français d'Hugues de Saint-Victor et des études victorines (IRHT), avec l'Université Catholique Jean Paul II de Lublin, en Pologne, d'où sont issus les trois autres éditeurs du volume, Wanda Bajor, Michal Buraczewski et Marcin Jan Janecki et grâce aux fonds du ministère de l'éducation et de la science de Pologne.
Les études victorines et la série Bibliotheca victorina nous ont habitué aux grandes synthèses et aux mises au point encyclopédique. Dès le volume 1, en 1992, le ton était donné : L'abbaye parisienne de Saint-Victor au Moyen Âge, sous la direction de Jean Longère, entendait donner une vue d'ensemble des études victorines à cette date. La tradition s'installe. En 2010, la publication des actes du colloque de 2008 au Collège des Bernardins donnait lieu au volume 22 intitulé L'école de Saint-Victor de Paris. Il faut aussi compter dans la liste des synthèses les rencontres de Mayence en 2004 (Bibel und Exegese in der Abtei Saint-Victor zu Paris), celles de Todi, en 2010 (Ugo di San Vittore) et de Pise en 2019 (La cultura dei Vittorini et la letteratura medioevale). Le présent volume de 2021 constitue donc la nouvelle étape qui ouvre la décennie 2020 inaugurant une belle collaboration franco-polonaise, alors que le Corpus victorinum, de Francfort, chez Aschendorff (Münster) continue à publier ses Textus historici et ses Instrumenta depuis 2005, autant de travaux sur l'abbaye parisienne qui complète leur version éditoriale française.
Aux Etats-Unis, n'oublions pas non plus la collection Victorine Texts in Translation (VTT), célèbre foyer de traduction anglaise des textes victorins. C'est dire que quand Dominique Poirel ouvre le volume en parlant de "récent bouillonnement" et de "renouveau international", il donne la mesure de l'envergure mondiale des études victorines.
Le volume est divisé en trois parties parfaitement distinguées : 1. Hugues de Saint-Victor (Magister Hugo) ; 2. Disciples ; 3. Influences. Cinq articles constituent la première partie. A. Kijewska établit une analyse comparée entre Scot Erigène et Hugues concernant le parallèle entre Livre de la Nature et Ecritures saintes. Marco Rainini reprend à nouveaux frais le dossier de l'anthropologie victorine. Hugues y joue un rôle fondateur en insistant sur l'idée que l'homme est le sommet de la création. Cédric Giraud revient sur le livre I du De vanitate rerum mundanarum, sa thèse des chartes publiée en 2015 au Corpus Christianorum, continuatio Mediaevalis (CCCM 269). Il analyse la coexistence de deux thèmes apparemment antithétiques : la présence chez Hugues de Saint-Victor d'un contemptus mundi au cœur d'un authentique humanisme. I. Van's Spijker revient sur le thème de la pédagogie hugonienne en vue d'un Scito te ipsum qui mêle connaissance et affectivité. Quant à Pascale Mercury, elle analyse la thématique de l'amour chez Hugues de Saint-Victor à partir de son De arrha animae. Cette première partie reprend donc des thèmes déjà balisés, pour ne pas dire anciens, en les renouvelant. Si les auteurs intègrent des titres allant jusqu'en 2017, on s'étonnera pourtant que certains articles, comme celui de Pascaline Mercury soit si peu au fait de la bibliographie récente et cumule nombre de titres anciens et vieillis.
La deuxième partie est plus novatrice et intègre des études dynamiques et récentes, comme les très stimulants travaux de Montse Leyra-Curia sur les liens entre exégèse victorine et exégèse hébraïque notamment concernant André de Saint-Victor. On le savait depuis longtemps, l'exégèse biblique d'Hugues et André de Saint-Victor dépendaient profondément des sources rabbiniques et, par leur approche plus littérale, ont permis une ouverture sur une exégèse de type plus philologique et plus moderne. Ici Montse Leyra-Curia montre dans le détail qu'André a pu avoir accès à un matériau hébraïque indépendamment de sa dépendance avec Hugues. Sur le même André de Saint-Victor, les travaux de Franz Van Liere font aujourd'hui autorité. A partir, ici, du manuscrit de la Mazarine 175, F. Van Liere articule les analyses exégétiques aux données codicologiques pour une méthodologique dynamique et innovante. Encore dans cette deuxième partie, les articles sont monographiques et explorent des auteurs moins étudiés de l'abbaye victorine : Antonio Sordillo disserte sur Godefroy de Saint-Victor (ses sermons) ; Marguerite Vernet sur Absalon de Saint-Victor (encore le champ homilétique) ; Chris Schabel présente les textes de Pierre Leduc et Henri Le Boulangier (dit Pistoris), deux victorins méconnus du temps du Grand Schisme, dont il exhume les principia bibliques en une édition princeps bienvenue.
Une troisième partie en huit articles rassemble des thématiques diverses sous un seul chapeau : Pensée victorine et mystique (Boyd Taylor Coolman, Jonas Narchi) ; Pensée victorine et littérature romane (Mira Mocan) ; Lien entre Richard de Saint-Victor et Duns Scot (Gloria Silvana Elias) ; lien entre Saint-Victor et le Carmel (Marcin Jan Janecki) ; Présences de Saint-Victor en Pologne au Moyen Âge et aujourd'hui (Wanda Bajor et Marcin Jan Janecki). Dominique Poirel clôt le volume par un épilogue : "Qu'est-ce que Saint-Victor ?", véritable vade-mecum sur le sujet, de la plus haute utilité didactique.
Le volume est fidèle à l'esprit encyclopédique de la série, dans son ambition totalisante de cerner le plus exhaustivement le centre victorin du XIIe siècle. Il nous fait voyager au XIIe siècle et au-delà dans les contrées slaves et les périodes plus tardives (époque du Grand Schisme, XVIe siècle jusqu'à l'époque contemporaine). Il témoigne, dans une tradition déjà établie, d'une belle interdisciplinarité (philosophie, littérature, histoire, histoire de la pensée, exégèse, etc.) et mélange les expertises de chercheurs chevronnés à la renommée internationale et de jeunes étudiants doctorants voire mastérants. Bref, on l'aura compris, un volume audacieux dans son ambition, quoiqu'inégal dans ses contributions.
Bénédicte Sère